La garantie des vices cachés dans les marchés publics

Par Laurent Chomard

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La distinction entre droit public et droit privé, souvent décrite comme infranchissable, accepte néanmoins des exceptions. Il en est ainsi avec la garantie pour vices cachés prévue par les articles 1641 et 1648 du Code civil.  Destinée en droit romain à permettre la protection des acquéreurs d’esclaves ou d’animaux malades vis-à-vis de vendeurs peu scrupuleux, la maladie ne pouvait être imputée au vendeur que si elle se déclarait à bref délai. Aujourd’hui, l’article 1641 du Code civil prévoit que « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. »
Nous allons tout d’abord étudier comment cette notion civiliste de la garantie pour vice caché est désormais applicable en marché public (I), puis nous étudierons quelles sont les conditions de sa mise en œuvre (II) et enfin pourquoi la garantie pour vice caché est un dispositif supplétif à la garantie technique prévue par les différents cahiers des clauses administratives générales (III).

 

I. Une notion purement civiliste applicable en droit des marchés publics

Depuis l'arrêt du 9 juillet 1965, Société les pêcheries du Keroman, à propos d’un contrat passé entre l’État et un chantier naval, le Conseil d’État considère que la garantie pour vices cachés devait être regardée comme comprise dans la garantie contractuelle. Celle-ci est toutefois expressément réservée aux contrats de fournitures : un arrêt du 29 janvier 1993 (Syndicat intercommunal des eaux de La Dhuy) du Conseil d’État en exclut l’application au marché public de travaux, seule la garantie décennale prévue aux articles 1792 et 2270 du Code civil pouvant s’appliquer. La garantie pour vices cachés a été plus communément admise en droit des marchés publics par une décision de la cour administrative d’appel de Nancy du 30 mai 2005, confirmée par une décision du Conseil d’État en date du 24 novembre 2008. La cour administrative d’appel de Nancy dans l’affaire Société Applicam applique la garantie des vices cachés dans le cadre d’un marché public de fournitures portant sur des cartes mémoires d'accès aux cantines universitaires, mais en se conformant au cahier des clauses administratives particulières du marché, qui stipulait qu’en cas de vice caché, la marchandise serait remplacée par le titulaire.C’est par la décision Centre hospitalier de la région d’Annecy que le Conseil d’État consacre clairement l’application directe de la garantie des vices cachés en matière de marchés publics, « considérant [...] qu'aux termes de l'article 1641 du Code civil : "Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine [...]" ; que la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en faisant application des dispositions précitées sans les adapter au droit des marchés publics ».

II. La mise en œuvre de la garantie des vices cachés

La garantie pour vices cachés se distingue de l’obligation de délivrance conforme. Le vice affectant la chose doit être préexistant au transfert de propriété et inconnu de l’acheteur au moment de la réception et de l’admission des fournitures. Un vice découvert par l’acheteur au moment de la réception appelle des réserves ou un rejet de sa part sauf si l’ampleur du vice échappe à l’acheteur. L’appréciation est faite, ici, in concreto. C’est pourquoi le jeu de la garantie des vices cachés tient compte de l’expertise de l’acheteur et de la profession des parties à la vente.Envers un consommateur ou un acheteur profane, la garantie pour vice caché joue pleinement, mais pas pour l’acheteur professionnel qui aurait dû voir le vice affectant la chose, celui-ci devenant alors un vice apparent, hypothéquant la réception par l’acheteur. Non seulement il existe une présomption simple de découverte du vice par l’acheteur professionnel, mais de plus, il peut se voir opposer des clauses limitatives de garantie, contrairement à l’acheteur non professionnel.L’acheteur public est-il un acheteur professionnel au regard des vices cachés ? La jurisprudence civile considère qu’un acheteur professionnel est assimilé à un profane, si sa spécialité, c'est-à-dire ses compétences techniques, ne correspondent pas au domaine d’achat en cause. Dans la plupart des cas, l’acheteur public sera considéré comme un acheteur non professionnel, n’étant pas spécialisé dans le domaine d’achat. Ainsi, le Conseil d’État dans sa décision Ajaccio Diesel du 7 avril 2011, à l’occasion d’un litige portant sur des véhicules, reconnaît que le centre hospitalier de Castelluccio agit en tant qu’acheteur profane. Dans un tel cas, seule une expertise mandatée par les assureurs permet de découvrir les vices cachés.Mais cette qualité d’acheteur profane peut disparaître si la personne publique s’appuie sur l’expertise d’un tiers lors de l’acquisition des biens. C’est ce qui est arrivé à la communauté d’agglomération Sophia Antipolis qui, préalablement à l’acquisition de véhicules, avait fait procéder à un audit des véhicules par une association de professionnels du transport public (AGIR) ; la cour administrative d’appel de Marseille a assimilé dans ce cas la personne publique à un acheteur professionnel de même spécialité.Autre point important pour la mise en œuvre de la garantie pour vices cachés : le délai d’action. Pendant deux siècles, l’article 1648 du Code civil a imposé à l’acquéreur d’agir dans un « bref délai ». Cette condition était inspirée par l’idée  que plus le temps passe, plus il sera difficile de déterminer si le vice était ou non antérieur à la vente. En effet, historiquement, au temps des Romains, la maladie affectant la vente d’esclaves ou d’animaux ne pouvait être imputée au vendeur que si elle se déclarait dans un bref délai. Aujourd’hui, depuis l’ordonnance du 17 février 2015, le délai est dorénavant de deux ans à compter non de la vente mais de la découverte du vice.

III. Une garantie supplétive à la garantie technique annuelle prévue aux CCAG

La plupart du temps, l’acheteur public n’aura pas à invoquer la garantie des vices cachés, car le cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de fournitures courantes et services (CCAG-FCS) prévoit une garantie technique annuelle, en son article 28. Ainsi, l’article 28.1 prévoit que « les prestations font l'objet d'une garantie minimale d'un an. Le point de départ du délai de garantie est la date de notification de la décision d'admission. » L’article 28.2 stipule à ce titre que « le titulaire s'oblige à remettre en état ou à remplacer à ses frais la partie de la prestation qui serait reconnue défectueuse, exception faite du cas où la défectuosité serait imputable au pouvoir adjudicateur. » Dans l’hypothèse où le titulaire du marché ne peut remplir ses obligations post contractuelles, le pouvoir adjudicateur peut utiliser  la somme consignée au titre de la retenue de garantie auprès du comptable public pour financer les prestations nécessaires aux levées des réserves faites.La garantie technique, prévue par le CCAG-FCS comme par le CCAG-TIC (art 30) ou le CCAG-PI (art 28) en cas de défectuosité, est d’application plus large que la garantie pour vices cachés. En effet, cette dernière ne peut être mise en jeu que dans la mesure où les vices cachés rendent les choses impropres à leur destination, alors que la seule défectuosité doit être prise en charge dans le cadre de la garantie technique.De plus, la mise en œuvre de la garantie technique est plus opportune en terme de continuité du service public. En effet, alors que la garantie pour vices cachés a pour conséquence, soit une réfaction sur le prix (action estimatoire), soit une résolution de la vente (action rédhibitoire) entraînant une restitution de la fourniture au vendeur et la restitution du prix à l’acheteur, la garantie technique prévue aux CCAG oblige le titulaire à remettre en état et « lorsque, pendant la remise en état, la privation de jouissance entraîne pour le pouvoir adjudicateur un préjudice, celui-ci peut exiger un matériel de remplacement équivalent. » (CCAG-FCS, art. 28.2).Enfin, comme toute clause des CCAG, la garantie technique peut être aménagée par le pouvoir adjudicateur, et, par exemple, être portée à deux ans par le cahier des clauses administratives particulières.Sources :