La durée dans les marchés publics

Par Laurent Chomard

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La durée est un thème peu abordé. Pourtant, il s'agit d'une problématique transversale liée à la matière des marchés publics. En effet, que ce soit sous l’angle de la computation des seuils ou des pénalités de retard, la durée est omniprésente. Dans l’Abécédaire des marchés publics, Éric Lanzarone et Sébastien Palmier définissent la durée d’un marché comme « l’espace de temps compris entre la date de notification (date de prise d’effet du marché) et la fin du marché (date d’achèvement de la prestation ou réception, par exemple) » (Berger-Levrault, 2008).

Hormis les marchés à bons de commande et les accords-cadres dont la durée ne peut dépasser quatre ans (CMP, art. 76), la fixation de la durée par l’acheteur public est libre afin qu’il puisse notamment tenir compte de l’amortissement nécessaire des matériels fournis par les opérateurs économiques. Mais si la détermination de la durée relève de la responsabilité du pouvoir adjudicateur, celle-ci ne doit cependant pas être excessive afin de permettre une mise en concurrence périodique. C’est pourquoi la reconduction ne doit pas être un moyen de prolonger indéfiniment un contrat.

I. La détermination de la durée

C’est l’article 16 du Code des marchés publics qui traite de la question de la durée : « Sous réserve des dispositions fixant la durée maximale pour les accords-cadres et les marchés à bons de commande, les marchés complémentaires passés en procédure négociée ainsi que les marchés relatifs à des opérations de communication, la durée d’un marché ainsi que, le cas échéant, le nombre de ses reconductions, sont fixés en tenant compte de la nature des prestations et de la nécessité d’une remise en concurrence périodique. Un marché peut prévoir une ou plusieurs reconductions à condition que ses caractéristiques restent inchangées et que la mise en concurrence ait été réalisée en prenant en compte la durée totale du marché, périodes de reconduction comprises. Sauf stipulation contraire, la reconduction prévue dans le marché est tacite et le titulaire ne peut s’y opposer ».Cet article 16 énonce des principes généraux et ne détaille pas précisément ce qu'il est concrètement possible de prévoir. Et pour cause. La détermination de la durée d'un marché dépend de son objet même. Ainsi, si la date d’extinction des obligations contractuelles est fixée par le pouvoir adjudicateur dès la conclusion du contrat, nous serons en présence d’une durée ferme comme c’est le cas avec un marché à bons de commande. Cependant, certains marchés présentent nécessairement une durée prévisionnelle comme les marchés de maîtrise d’œuvre. Même si le point de départ des prestations et l'extinction des prestations sont fixés par le pouvoir adjudicateur, ceux-ci sont déterminables et non déterminés. Par exemple, dans les marchés de maîtrise d’œuvre, les prestations de maîtrise d’œuvre débutent à la date de notification du marché. Elles s’achèvent à l’expiration du délai de garantie de parfait achèvement ou après prolongation de ce délai si les réserves signalées lors de la réception ne sont pas toutes levées à la fin de cette période. Dans cette hypothèse, l'achèvement de la mission intervient lors de la levée de la dernière réserve.De même, les marchés à exécution instantanée ne prévoient aucune durée à proprement parler mais un délai d’exécution à respecter, comme c’est le cas des marchés d’achat de fournitures (mis à part les marchés à bons de commande, où cohabitent délais d'exécution des bons de commande et durée de marché).Enfin, il est à noter que les cahiers des clauses administratives générales (CCAG), contrairement au Code des marchés publics, n'évoquent pas la notion de « durée du marché », mais celle de « délai d’exécution ». Elle est seulement évoquée de manière implicite à travers la fixation dans le marché d’une date limite de validité à respecter (CCAG FCS, art. 13.2.4). Il n’en reste pas moins qu’un délai d’exécution est l’expression d’une durée de marché non encore déterminée mais déterminable.

II. L’obligation de remise en concurrence périodique des marchés

Est-il véritablement possible de passer des marchés à durée indéterminée ? Oui, semble répondre l’Accord sur les marchés publics (AMP) de l’Organisation mondiale du commerce dont l’article II, intitulé « évaluation des marchés », dispose que : « dans le cas de marchés de durée indéterminée, l'acompte mensuel (est) multiplié par 48 ».De même, le juge européen, à l’occasion de son arrêt du 19 juin 2008, Pressetext Nachrichtenagentur Gmbh, indique qu'« il y a lieu de rappeler que la pratique consistant à conclure un marché public de services pour une durée indéterminée est en soi étrangère au système et à la finalité des règles communautaires en matière de marchés publics. Une telle pratique peut avoir pour effet, à terme, d’entraver la concurrence entre les prestataires de services potentiels et d’empêcher l’application des dispositions des directives communautaires en matière de publicité des procédures de passation des marchés publics. Néanmoins, le droit communautaire, dans son état actuel, n’interdit pas la conclusion de marchés publics de services à durée indéterminée » (points 73 et 74 de l'arrêt).

Cependant, si le droit communautaire n’interdit pas formellement la conclusion de marchés publics à durée indéterminée, il semble que tel n'est pas le cas du droit français. L’article 16 prévoit en effet que « la durée d’un marché ainsi que, le cas échéant, le nombre de ses reconductions, sont fixés en tenant compte de la nature des prestations et de la nécessité d’une remise en concurrence périodique ». Cette obligation de remise en concurrence périodique, prévue dans le but de garantir la liberté d’accès à la commande publique, interdit en pratique les marchés publics à durée indéterminée.

III. La reconduction des marchés

La reconduction des marchés publics a fait l'objet de plusieurs décisions jurisprudentielles.La cour administrative d'appel de Bordeaux, dans un arrêt n° 08BX00050 du 15 juillet 2009, a considéré illégal un marché prévoyant que « l'abonnement est souscrit pour une durée minimale de 12 mois et qu'il est tacitement reconduit sauf dénonciation par l'une des parties, sans que le nombre des reconductions soit indiqué ». En effet, l'absence de limite quant au nombre des reconductions ne permet pas de procéder à une remise en concurrence périodique : « que ces stipulations, qui ne permettent ni d'apprécier le seuil mentionné aux articles 27 et 28, lequel doit tenir compte des reconductions prévues, ni de procéder à une remise en concurrence périodique, entachent de nullité le contrat ». En 2000, par sa jurisprudence Commune de Païta, le Conseil d'État avait déjà considéré comme nulle une clause de tacite reconduction par périodes équivalentes sans limitation de durée (CE, 29 novembre 2000, Commune de Païta, n° 205143).On le voit, la reconduction tacite est une pratique contractuelle qui peut entraîner l'annulation d'un marché, surtout si le nombre de reconductions éventuelles n'est pas précisé. Pourtant, le Gouvernement vient de supprimer l’interdiction de recourir à des reconductions tacites et l’érige même en principe de droit commun, en lieu et place de la reconduction expresse. Avant le décret n° 2011-1000 du 25 août 2011, le code indiquait en son dernier alinéa de l’article 16 que « le pouvoir adjudicateur prend par écrit la décision de reconduire ou non le marché. Le titulaire du marché ne peut refuser sa reconduction sauf stipulation contraire prévue dans le marché ». Désormais, l’article 16 prévoit que : « sauf stipulation contraire, la reconduction prévue dans le marché est tacite et le titulaire ne peut s'y opposer ». Il s’agit visiblement d’une mesure pragmatique adoptée afin de soulager l’administration d’une décision expresse de reconduction, souvent compliquée pour les services. Toutefois, il semble bon de préciser que, même si la reconduction tacite est ainsi érigée en principe, le pouvoir adjudicateur doit veiller à préciser le nombre maximum de reconductions et, de fait, la durée maximale du marché.Sources :