La dimension sociale dans les marchés publics

Par Laure Catel

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L’utilisation stratégique de la commande publique comme outil de développement économique est assumée, tant en droit interne qu’au niveau européen. Mais un des objectifs recherchés est également la promotion de l'emploi et du travail en vue de l'insertion des individus dans la société (directive n° 2014/24/UE, 26 févr. 2014, cons. 36).

L’article 30 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, transposant notamment la directive n°2014/24/UE, stipule clairement que la définition des besoins doit prendre en compte des objectifs de développement durable dans leur dimension économique, sociale et environnementale. La dimension sociale doit donc être partie intégrante de la stratégie d’achat de l’ensemble des acheteurs publics. Si ce sont les collectivités territoriales qui se sont emparées en premier du sujet et ont été précurseur en la matière, l’État et ses établissements publics doivent aussi prendre en compte des considérations sociales dans le choix du titulaire d’un marché public. Comme se l’assure la Direction des Achats de l’État (DAE) qui élabore, pilote et mesure la performance des achats de l’État, de ses établissements publics et des autres organismes dans le respect des objectifs de développement durable, en fixant notamment à ces acheteurs publics un axe stratégique « achat avec dispositions sociales ». Malgré une jurisprudence un peu frileuse en la matière, différents leviers ont été mis en place par la réglementation pour favoriser l’accès à l’emploi des personnes qui en sont éloignées. En pratique, les acheteurs publics s’approprient ces dispositifs avec parcimonie malgré le soutien des facilitateurs, véritables moteurs de l’insertion et d’échange de bonnes pratiques dans le domaine.

I. Les leviers stratégiques à dimension sociale offerts par les textes

Lors du colloque sur le développement des clauses sociales dans la commande publique, qui s’est tenu à Paris en 2008, Martin Hirsch, alors haut-commissaire aux solidarités actives contre les pauvretés, avait insisté sur la question de savoir comment transformer un acte courant, indispensable au fonctionnement quotidien de l’administration (passer un marché), en un outil en faveur de l’insertion des personnes éloignées de l’emploi. L’enjeu principal résidait alors dans la diffusion de la connaissance de ces clauses et dans leur mise en œuvre réussie. À l’époque, l’objectif était d’atteindre un taux de recours d’au moins 10 % de ses achats courants aux entreprises d’insertion par l’économie. Plus récemment, la Direction des Achats de l’État (DAE) a rappelé, dans son guide sur la mesure des résultats des achats de l’État et de ses établissements publics et des autres organismes, que le Plan national d’action pour des achats publics durables (PNAAPD) pour la période 2015-2020 a fixé, pour tous les acheteurs publics, des objectifs en matière d’achats socialement responsables. Ainsi, 25 % des marchés (en nombre) doivent intégrer une disposition sociale à l’horizon 2020. On est donc encore loin d’une utilisation optimale des leviers pourtant proposés par la règlementation. L’ordonnance du 23 juillet 2015 et le décret du 25 mars 2016 ont pourtant élargi la prise en compte de la dimension sociale dans le choix du titulaire d’un marché public.

La dimension sociale peut en effet prendre la forme d’un critère d’attribution du marché (a), elle peut aussi être directement intégrée dans l’exécution du marché public (b), soit en réservant un marché public ou un lot d’un marché public à des structures employant des personnes éloignées de l’emploi (i) ou bien en prévoyant que le titulaire s’engage sur des heures d’insertion (ii). Mais le marché public peut aussi avoir directement pour objet l’insertion (c).

a. La dimension sociale comme critère d’attribution du marché public

L’article 62-II-2° du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 (combiné à l’article 52 de l’ordonnance) permet à l’acheteur public d’attribuer le marché en se fondant sur une pluralité de critères et, notamment des critères comprenant des aspects sociaux. Il est donc possible pour l’acheteur d’évaluer l’action des soumissionnaires en faveur de l’insertion et leur manière de mettre en œuvre une démarche d’insertion (tutorat, formation, accompagnement socioprofessionnel). Cette évaluation en amont participe au choix de l’entreprise.

L’article 1er du code de 2001 admettait la prise en compte « d’autres critères » s’ils étaient justifiés sans pour autant faire référence aux critères sociaux et environnementaux. Il a fallu attendre le code de 2006 pour voir figurer, à l’article 53, la notion de performances en matière d’insertion professionnelle des publics en difficulté comme critère d’attribution des marchés. 

La jurisprudence quant à elle n’a jamais été très favorable à l’application de critères sociaux d’attribution. En effet, le juge administratif a longtemps considéré que l’utilisation du critère social était illégale en raison de son absence de lien avec l’objet des prestations demandées. Dans une décision du 29 novembre 2011, la cour administratif d’appel de Douai avait ainsi considéré que le pouvoir adjudicateur ne pouvait fonder son appréciation de l’offre économiquement la plus avantageuse sur les performances des candidats en matière d’insertion de publics en difficulté, car ce critère ne présentait, en l’espèce, aucun lien avec l’objet des prestations attendues au titre du déménagement, du stockage et du transfert de mobilier et machines-outils dans des lycées de la région. Les offres sans lien avec l'objet du marché ne répondent en effet pas aux besoins de l'acheteur public et ne peuvent donc pas être retenues.

Pour autant, depuis un arrêt du 25 mars 2013, la jurisprudence semble s’être assouplie (CE, 25 mars 2013, n° 364950). En effet, si le juge du référé avait jugé la procédure d’attribution illégale en raison de l’emploi d’un critère social parmi les critères de choix alors que l’objet du marché concernait des travaux de renforcement et de renouvellement des chaussées et ne présentait donc, aucun lien direct avec l’insertion professionnelle des publics en difficulté, le Conseil d’État a, au contraire, considéré que l’inclusion d’un critère social d’attribution pouvait être justifiée dès lors que le marché était susceptible d’être exécuté, au moins en partie, par des personnels engagés dans une démarche d’insertion. Cet assouplissement du Conseil d’État poursuit celui entamé par l’arrêt du 18 décembre 2012 dans lequel les juges du fond avaient retenu une acceptation large de la notion d’objet du marché  (CE, 18 déc. 2012, n° 363208). Laurent Givord, interrogé dans la revue Lexbases Hebdo du 21 février 2013 à propos de cet arrêt, considère que cette position du Conseil d’État illustre le fait qu’un sous-critère ne doit pas nécessairement porter sur les caractéristiques intrinsèques des prestations attendues mais, peut porter sur des éléments ayant un lien suffisant avec elles. Position retenue par le juge communautaire qui considère qu’il n’est « pas requis qu’un critère d’attribution porte sur des caractéristiques intrinsèques d’un produit, c’est-à-dire un élément qui s’incorpore matériellement à celui-ci » (CJCE, 10 mai 2012, aff. C-368/10).

Pour autant, l’application de ce sous-critère social peut s’avérer compliquée, comme l’a plus récemment rappelé le juge administratif. En l’espèce, il a été mis en avant que les documents de la consultation ne faisaient pas clairement apparaître comment s’appliquait l’engagement de l’attributaire relativement au nombre d’heures d’insertion et que le sous-critère relatif au nombre d’heures de travail réservées à l’insertion professionnelle des personnes en difficultés était entaché d’incertitudes (CE 28, mai 2014, n° 375941). La jurisprudence, bien qu’elle se soit récemment assouplie, semble en effet plus favorable à l’introduction de la dimension sociale au niveau de l’exécution du marché public que comme critère d’attribution.

b. La clause sociale comme condition d’exécution du marché public

La clause sociale peut être appliquée de deux manières dans un marché public : soit en réservant un marché ou un lot d’un marché à des personnes éloignées de l’emploi (i), soit par le biais d’un engagement du titulaire sur un nombre d’heures réservées à ces mêmes personnes (ii).

  1. Marchés réservés

Les articles 36 et 37 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 permettent à l’acheteur public de réserver un marché ou des lots d’un marché à des structures employant des travailleurs handicapés ou défavorisés (art. 36) ou aux entreprises de l’économie sociale et solidaire (art. 37). Le Code des marchés publics de 2006 ne prévoyait, dans son article 15, d’avoir recours aux marchés réservés que pour les seuls travailleurs handicapés. Introduit par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, les ateliers protégés visés pouvaient être :

  • des entreprises adaptées (EA) ;
  • des établissements et services d’aide par le travail (ESAT anciennement CAT) ;
  • des structures équivalentes.

La nouvelle réglementation a étendu la notion de marchés réservés. Ils sont désormais destinés à l’ensemble des structures suivantes :

  • des entreprises adaptées (EA), art. 36-I ;
  • des établissements et services d’aide par le travail (ESAT anciennement CAT), art. 36-I ;
  • des structures équivalentes, art. 36-I ;
  • des structures d’insertion par l’activité économique (IAE), art. 36-II ;
  • des structures équivalentes, art. 36-II ;
  • des structures de l’économie sociale et solidaire, art. 37.

La notion de structure équivalente permet d’ouvrir la porte ouverte à d’autres catégories juridiques, existant notamment dans d’autres États membres de l’Union européenne. Permettant ainsi à un large panel de structures de candidater à des marchés publics réservés.

Pour autant, la réglementation encadre tout de même les choses par le biais de trois leviers :

  • l’article 13 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 impose ainsi que la proportion minimale des travailleurs handicapés ou défavorisés employés par ces structures soit de 50 % ;
  • l’article 36-III exclut quant à lui la possibilité de réserver un marché ou des lots d’un marché à tous les travailleurs en situation d’exclusion. En effet, l’acheteur ne peut réserver un même marché ou un lot d’un marché aux opérateurs économiques qui emploient des travailleurs handicapés et à ceux employant des travailleurs défavorisés. L’un exclut l’autre. Dans les faits, il peut être difficile de faire le choix, au moment de la définition du besoin, entre les opérateurs économiques relevant du champ du handicap et ceux relevant de l’IAE ;
  • l’article 37, qui élargit la possibilité pour les acheteurs de réserver des marchés à des entreprises de l’économie sociale et solidaire, ne porte que sur des marchés relatifs à des services sociaux, culturels ou de santé dont la liste est publiée au Journal officiel. Il conditionne aussi la durée de ce marché à un maximum de 3 ans et pose la condition que l’entreprise ne se soit pas vue attribuer, au cours des trois dernières années précédentes, un marché public par le même pouvoir adjudicateur. La doctrine y voit un marché d’amorçage pour une nouvelle structure qu’un marché de long terme.

Gérard Brunaud, secrétaire général de l’Observatoire des achats responsables (OBSAR), dans le cadre de la conférence qui a eu lieu le 9 septembre 2016 sur les marchés réservés et les clauses d’insertion, considère pour sa part qu’il serait plus judicieux de réserver les marchés réservés aux marchés de petits volumes et d’introduire la clause d’insertion dans les marchés de gros volumes.

  1. Les clauses sociales d’insertion

L’article 38-I de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 permet en effet à l’acheteur public d’imposer à l’entreprise titulaire de réaliser, parmi les heures de travail prévues au marché, un nombre ou pourcentage d’heures d’insertion. Ces heures devront être réalisées par des personnes en parcours d’insertion. Ces clauses ne portent pas nécessairement sur tous les lots d’un marché.

Dans le guide édité par la DAJ concernant la commande publique et l’accès à l’emploi des personnes qui en sont éloignées (édition 2015), il est recommandé de formuler ces clauses en heures de travail (nombre d’heures qui sera fixé au cas par cas en fonction des spécificités du marché) et de tenir compte à la fois du secteur d’activité et du public mobilisable sur la zone où sera réalisée la prestation, objet du marché. Si l’acheteur public souhaite avoir recours à ces clauses sociales dans les marchés subséquents, il est recommandé de le prévoir dans l’accord-cadre lui-même. L’ajout d’une telle clause dans un marché subséquent modifierait substantiellement l’équilibre économique du marché.

L’acheteur public doit surtout veiller à ce que tout opérateur économique, souhaitant répondre au marché, soit à même de remplir cette clause. L’article 38-I prévoit d’ailleurs que cette dimension sociale intégrée dans les conditions d’exécution du marché ait un lien avec l’objet du marché. Un garde-fou utile pour sécuriser le recours à ces clauses et respecter notamment l’égalité de traitement entre les candidats et éviter que ces dernières n’aient pour conséquence de réduire la concurrence ; d’où l’intérêt, avant le lancement de la consultation, de procéder (dans le cadre du sourçing notamment) à une étude approfondie du secteur d’activité, du tissu économique, des pratiques dans des marchés similaires, etc. Il doit aussi veiller à ne pas imposer aux opérateurs économiques des modalités particulières de mise en œuvre de ces heures d’insertion.

Il est d'ailleurs possible, pour une plus grande efficacité dans la prise en compte de l’insertion, d’associer à la fois une exigence d’insertion par le biais d’heures d’insertion obligatoires mentionnées au CCAP et de demander aux entreprises soumissionnaires, sur la base de l’article 52 de l’ordonnance, d’expliciter les modalités et la qualité de son offre d’insertion via des critères de performance sociale. Cette combinaison d’un critère social d’attribution et d’une clause d’exécution à dimension sociale permet de laisser aux entreprises la possibilité d’aller au-delà des exigences du CCAP et de proposer une démarche d’insertion plus élaborée qui sera valorisée au stade de l’analyse des offres.

Si l’acheteur public a la possibilité de saupoudrer un peu d’insertion dans ses marchés, que ce soit par l’intermédiaire de critères de performance ou de clauses sociales d’exécution, en lien avec l’objet du marché, il peut aussi inverser la vapeur et faire de l’insertion l’objet du marché, les prestations de travaux ou de services associées ne le seront alors qu’à titre de support de cette action d’insertion.

c. La clause sociale comme objet du marché public

Les articles 28 et 35 du décret du 25 mars 2016 permettent à l’acheteur public de passer des marchés ayant pour objet des services sociaux dont la liste a été publiée le 27 mars 2016 dans l’avis relatif aux contrats de la commande publique ayant pour objet des services sociaux et autres services spécifiques. Il s’agit donc de marchés de services qui ont pour objet la qualification et l’insertion professionnelle de personnes en difficulté, sur lesquels peuvent se greffer, à titre de support, la réalisation de prestations de travaux ou de services. Le contenu en insertion doit être suffisamment conséquent pour éviter une requalification par le juge. L’acheteur public doit en effet avoir en tête, comme l’explique la DAJ dans son guide sur la commande publique et l’accès à l’emploi des personnes qui en sont éloignées, que des prestations de service qui n’ont pas pour objet la qualification et l’insertion professionnelle mais qui ne sont qu’un support de l’action d’insertion visée (par exemple, l'entretien des espaces verts) ne peuvent constituer l'objet d’un marché d'insertion passé au titre de l'article 28. Le prestataire est sélectionné en priorité pour la qualité de la démarche d'insertion et non pas sur la qualité des services ou des travaux réalisés. Le CCAP pourra préciser les mesures de soutien socioprofessionnel attendues de l'opérateur économique. L’article 28 autorise l'acheteur public à recourir, pour ces marchés et quelle que soit la valeur estimée du besoin, à une procédure adaptée qui sera passée dans les conditions de l'article 27.

Alliance Ville Emploi note qu'en 2015, 11 % des clauses sociales seulement ont porté sur des marchés ayant comme objet l'insertion par le biais de marchés de services de qualification et d'insertion professionnelle. La majorité de ces marchés d'insertion ont été attribués à des ateliers et chantiers protégés qui ont directement pour mission l'embauche en CDD et la mise au travail de personnes sans emploi rencontrant des difficultés sociales et professionnelles.

En pratique, malgré les possibilités offertes par les textes, l'insertion reste encore utilisée avec parcimonie par les donneurs d'ordre. La promotion du dispositif auprès des acheteurs publics relève de la compétence du facilitateur qui doit être à l'origine d'un processus continu de recherche, d'analyse comparative, d'adaptation et d'implantation des meilleures pratiques en matière de clauses sociales afin d'améliorer la performance en matière d'insertion.

II. Les applications pratiques de l’insertion dans les marchés publics

Ce sont les prestations demandeuses de main d’œuvre qui sont les plus à même de bénéficier aux dispositifs d’insertion. Pour autant, tous les marchés et tous les acheteurs publics sont a priori concernés par ces clauses sociales. L’acheteur public doit quand même, dans le cadre de la définition de son besoin (ord. n° 2015-899, art. 30), analyser la portée d’une telle clause dans le cadre du contrat envisagé. Il peut pour cela, s’appuyer sur les compétences du facilitateur qui anime, sur chaque territoire, le dispositif d’accompagnement des clauses sociales (a) afin de trouver le dispositif le mieux adapté à la teneur de l’achat effectué par le pouvoir adjudicateur. En effet, un certain nombre de clauses (i) et de sous-critères (ii) ont aujourd’hui fait leurs preuves et peuvent être utilisés de manière récurrente pour tous les segments d’achat (b).

a. Le rôle du facilitateur dans le choix du dispositif social

Le facilitateur social est une personne appartenant ou liée au service public de l'emploi local : plan local d'insertion pour l'emploi (PLIE) ou maison de l'emploi. Il intervient à la fois auprès des acheteurs publics en les assistant dans l’élaboration des clauses sociales et leur bonne exécution et auprès des opérateurs économiques afin de les aider à mettre en œuvre les solutions les plus adaptées pour le marché qu’ils doivent exécuter.

La notion de facilitateur ou gestionnaire de clauses sociales est apparue après le Code des marchés publics de 2004 et la possibilité pour les acheteurs publics, de promouvoir l'emploi de personnes rencontrant des difficultés particulières d'insertion, à lutter contre le chômage ou à protéger l'environnement dans la définition des conditions d’exécution des marchés. L’insertion de clauses sociales dans les marchés est complexe, les acheteurs ont rapidement eu besoin de s’appuyer sur des professionnels de l’emploi connaissant le tissu économique et social local pour les aider à rédiger des clauses sociales cohérentes que les entreprises, susceptibles de répondre aux appels d’offres, puissent satisfaire.

Ainsi, le 11 février 2010, le Service des Achats de l’État (SAE) a signé une convention avec Alliance Villes Emploi (AVE), association qui fédère les PLIE (plans locaux d’insertion et d’emploi) et les maisons de l’emploi dans le but de développer et d'animer le réseau des facilitateurs, ressources indispensables à l’acheteur pour la mise en œuvre des clauses sociales dans les contrats publics. Le site Alliance Ville Emploi offre aux acheteurs publics la possibilité de consulter un annuaire des facilitateurs, un guide de la clause sociale, des bonnes pratiques et ainsi trouver toute l’aide utile en amont au moment de la réflexion et de la mise en œuvre de leur démarche d’insertion. Ces facilitateurs sont disséminés sur tout le territoire permettant de répondre à la demande croissante des acheteurs publics et, en particulier, ceux des services étatiques.

L’une des principales missions du facilitateur est d’identifier les différents acteurs des clauses sociales afin de les mettre en relation. En effet, si l’acheteur public s’appuie sur lui au stade de l’élaboration de son besoin afin d’identifier la possibilité d’intégrer, ou non, une clause sociale dans son marché et sous quelle forme, il intervient aussi au stade de la consultation afin d’épauler les entreprises dans la mise en œuvre de la clause sociale (embauche directe, sous-traitance, etc.) puis au stade de l’exécution afin de vérifier que la clause sociale est bien mise en œuvre par le titulaire. Le facilitateur doit agir en toute neutralité et objectivité, – surtout lorsque le critère de choix du soumissionnaire a une dimension sociale. En effet, le facilitateur pourra être sollicité par les entreprises en cours de procédure sur le contenu de leur offre, de même qu’il pourra être sollicité par l’acheteur public au stade de l’analyse pour émettre un avis sur la pertinence des offres d’insertion faites par les soumissionnaires. Compte-tenu de son positionnement, le facilitateur est informé du flux des clauses sociales et représente, à ce titre, un laboratoire dans lequel piocher des bonnes pratiques en matière d’insertion.

b. Les sous-critères et clauses sociales en pratique

Différentes options s’offrent aux acheteurs publics pour la mise en œuvre de leur démarche d’insertion. Ils peuvent aussi bien intégrer des critères que des sous-critères liés à la performance en matière d’insertion (i) ou bien intégrer des clauses sociales directement dans leurs marchés (ii). Pour être efficaces et porter leurs fruits, ces exigences en matière d’insertion doivent faire l’objet d’une véritable réflexion en amont puis d’un contrôle régulier en cours d’exécution afin de pouvoir en tirer toutes les conséquences économiques et opérationnelles pour les marchés futurs.

  1. Les sous-critères

L’acheteur public peut donc prévoir un critère de performance afin de qualifier l’offre d’insertion et permettre à l’entreprise de faire des propositions en leur laissant une marge d’innovation. Le pouvoir adjudicateur pourra ainsi départager les offres en prenant en compte la démarche d’insertion professionnelle proposée, puisqu’il peut évaluer, par une note chiffrée, la qualité de la proposition des opérateurs économiques dans ce domaine et qu’il peut donner une certaine importance à ce critère. L’acheteur peut s’appuyer sur un critère d’insertion ou plusieurs sous-critères. Dans l’arrêt du 25 mars 2013 précité, le Conseil d’État a ainsi validé la clause sociale d’un marché dans lequel le critère de performance avait été pondéré à 15 % de la note globale. Il n’est pas interdit de prévoir une pondération plus élevée dès lors qu’elle se justifie par le type de marché, le secteur d’activité et les effets recherchés. La seule obligation étant de préserver une bonne corrélation avec les autres critères et sous-critères et ainsi préserver l’équilibre économique et financier de l’analyse.

À titre d’exemple, Alliance Ville Emploi propose dans son guide les sous-critères suivants :

  • les formations proposées par l’entreprise pour les personnes en insertion ;
  • l’encadrement technique et le tutorat proposés par l’entreprise pour les personnes en insertion ;
  • les mesures prévues par l’entreprise pour assurer ou faire assurer l’accompagnement socioprofessionnel des personnes en insertion ;
  • la mobilité des personnes éloignées du marché du travail (notamment dans les zones rurales) ;

Il est recommandé que ces derniers prennent appui sur un cadre de réponse technique permettant aux soumissionnaires d’organiser leur réponse et à l’acheteur public de faire une analyse objective et documentée des offres proposées. Ces indicateurs permettront aussi, à termes, au facilitateur de contrôler la bonne exécution de la démarche d’insertion sur laquelle s’est engagée le titulaire. Contrôle qui trouve son prolongement dans le suivi des engagements imposés par le pouvoir adjudicateur dans les documents de son marché.

  1. Les clauses sociales d'insertion

Alliance Ville Emploi propose, dans son guide de 2016, un certain nombre de clauses types à intégrer dans les pièces du marché. Lorsque l’acheteur décide de réserver un certain nombre d’heures d’insertion à des personnes éloignées de l’emploi, le nombre d’heures doit absolument être mentionné dans le CCAP de manière à contractualiser cette clause sociale. Le calcul du nombre d’heures tient compte de la part de main d’œuvre inhérente à chaque secteur d’activité, mais aussi de la durée d’exécution du marché ou d’éventuelles spécificités techniques. L’insertion d’une telle clause dans le contrat public ne doit pas avoir pour conséquence d’aller à l’encontre des principes de la commande publique en ne demandant pas le même effort à toutes les entreprises soumissionnaires. Le CCAP pourra aussi prévoir, afin de faciliter la gestion de ces clauses sociales d’insertion par l’entreprise, une disposition concernant la globalisation des heures d’insertion. Cette globalisation permet en effet à l’entreprise qui serait titulaire de plusieurs marchés « clausés » sur un même territoire, de n’embaucher qu’une seule personne qui réalisera l’ensemble des heures sur chacun des marchés concernés. Les heures d’insertion restant rattachables à chaque marché.

Dans certains cas, il est aussi possible d’ajouter un sous-critère qui valoriserait les heures d’insertion que l’entreprise propose de réaliser au-delà du minimum qui lui est demandé dans le CCAP.

Outre les éléments attendus au titre de la clause sociale, l’acheteur devra prévoir les modalités du contrôle de l’exécution de l’action d’insertion pour laquelle le titulaire s’est engagé. Il lui sera ainsi demandé d’apporter un certain nombre d’éléments de justification permettant, au maître d’ouvrage ou au facilitateur si celui-ci a été mandaté par le maître d’ouvrage, de contrôler les engagements pris (certificat du tuteur de la personne recrutée dans le cadre de ce parcours d’insertion, feuille d’émargement lors de la prise de fonctions, etc.). Le contrôle peut s’exercer sur place ou sur pièce. L’absence ou le refus de transmission de ces éléments de suivi peuvent donner lieu à l’application de pénalités prévues au CCAP. Des pénalités peuvent aussi être prévues en cas de non-respect de mise en œuvre de la clause sociale. Il faut noter que le titulaire peut toujours solliciter l’aide du facilitateur afin de trouver, avec lui, les moyens de la mettre en œuvre.

Le dispositif des clauses sociales peine encore à s’imposer dans le champ de la commande publique alors même qu’est réaffirmée depuis plusieurs années maintenant, la prise en compte des objectifs de développement durable dans leur dimension économique, sociale et environnementale au stade de la définition des besoins à satisfaire, et alors même que l’échec de l’application des clauses sociales en cours d’exécution du contrat, n’emporte pas l’échec du contrat lui-même. En effet, lorsque l’entreprise rencontre des difficultés économiques ayant un impact sur la mise en œuvre de ses engagements en matière sociale, la clause sociale pourra être tout simplement annulée ou simplement suspendue. Une donnée qui devrait rassurer les donneurs d’ordre et les inciter à s’approprier le dispositif des clauses sociales.

Espérons que, dans quelques années, cet élément sera reconnu comme un élément constitutif de l’acte d’achat, au même titre que ceux relatifs à la liberté d’accès à la commande publique, la transparence des procédures et l’égalité de traitement des candidats.

Sources :