Engagement de la responsabilité du sous-traitant, contrôle de l’exécution des prestations : jusqu’où le maître d’ouvrage peut-il aller ?

Par François Fourmeaux

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Par une décision du 9 juin dernier, le Conseil d’État a défini un peu plus les contours du contrôle qu’est susceptible d’exercer le maître d’ouvrage sur les prestations réalisées par les sous-traitants. Il s'inscrit ainsi dans la lignée des jurisprudences les plus récentes, qui tendent à rendre légèrement plus « perméables » les relations entre la personne publique et les sous-traitants, alors même qu’il n’existe aucun lien contractuel entre eux.

I. Absence de lien contractuel entre le maître d’ouvrage et le sous-traitant

En premier lieu, il convient de rappeler que, par principe, le sous-traitant n’est pas contractuellement lié au maître d’ouvrage.

En effet, parce que la sous-traitance se fait « sous la responsabilité » du titulaire du marché (article 1er de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance), c’est la responsabilité de ce dernier uniquement qui peut être recherchée sur un fondement contractuel. Peu importe à cet égard que, via un acte spécial, le sous-traitant ait été accepté par le maître d’ouvrage et qu’il soit éligible au paiement direct dans les conditions prévues à l’article 6 de la loi précitée.

En pratique, donc :

  • seul le titulaire du marché est responsable vis-à-vis du maître d’ouvrage de l’exécution de la totalité des obligations contractuelles. C’est notamment à lui seul qu’il incombe de supporter la responsabilité des malfaçons, sans qu’il ne puisse se prévaloir, tant vis-à-vis des tiers que du maître d’ouvrage, de la faute commise, le cas échéant, par le sous-traitant ;
  • le maître d’ouvrage ne peut engager aucun recours en responsabilité contractuelle à l’encontre du sous-traitant ;
  • le principe est celui du caractère « obligatoire » du paiement direct au bénéfice du sous-traitant, « même si l’entrepreneur principal est en état de liquidation des biens, de règlement judiciaire ou de suspension provisoire des poursuites » (article 6 de la loi).

En définitive, le titulaire du marché reste l’unique interlocuteur du maître d’ouvrage, quitte à ce que le premier exerce, si besoin est, une action récursoire contre son sous-traitant défaillant.

II. Possible engagement de la responsabilité extracontractuelle du sous-traitant

En deuxième lieu, cependant, le sous-traitant n’est pas à l’abri d’un recours dirigé contre lui par le maître d’ouvrage ; recours qui doit toutefois reposer nécessairement sur un fondement extracontractuel.

C’est cette possibilité qui a été dégagée par la décision Commune de Bihorel du 7 décembre 2015, dont il résulte que le maître d’ouvrage peut engager la responsabilité quasi-délictuelle des sous-traitants, « dans le cas où la responsabilité du ou des cocontractants ne pourrait pas être utilement recherchée ».

L’exercice de cette voie de droit est cependant fermement encadrée, à trois titres.

Tout d’abord, dans le mesure où il n’est pas question d’engager la responsabilité contractuelle du sous-traitant, les moyens invocables par le maître d’ouvrage sont assez limités. Ainsi, ce dernier pourra faire état de « la violation des règles de l’art » ou de « la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires », mais ne pourra se prévaloir de fautes résultant de la seule inexécution, par les sous-traitants, « de leurs propres obligations contractuelles ». Il est donc ici question du seul manquement à des obligations normales de la profession.

Ensuite, le maître d’ouvrage ne peut rechercher la responsabilité des sous-traitants « pour des désordres apparus après la réception de l’ouvrage et qui ne sont pas de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination ».

Enfin, la possibilité d’intenter le recours est conditionnée au cas où la responsabilité du titulaire ne peut être « utilement recherchée ». Cette hypothèse devrait, le plus souvent, correspondre à celle de la défaillance du cocontractant du fait de sa mise en liquidation judiciaire par exemple, laquelle rendrait vaine toute tentative du maître d’ouvrage d’obtenir, auprès du titulaire, réparation du préjudice subi du fait de malfaçons imputables au sous-traitant.

En définitive, l’engagement de la responsabilité quasi-délictuelle ne permet au maître d’ouvrage que d’exercer un contrôle indirect et limité sur l’exécution des prestations du sous-traitant.

III. Possible contrôle de « l’exécution effective des travaux sous-traités »

En troisième lieu, le Conseil d’État a admis que, dans le cadre de la procédure du paiement direct au bénéfice du sous-traitant, le maître d’ouvrage pouvait exercer un certain type de contrôle sur l’exécution des prestations du sous-traitant.

Dans un premier temps, le juge administratif a admis que le droit au paiement direct ne faisait pas obstacle « au contrôle par le maître de l’ouvrage du montant de la créance du sous-traitant, compte tenu des travaux qu’il a exécutés et des prix stipulés par le marché » (CE, 28 avr. 2000, n° 181604, Société Peinture Normandie). Ainsi, la Cour administrative d’appel de Bordeaux avait jugé qu’eu égard aux importantes réserves dont avaient fait l’objet les prestations exécutées par un sous-traitant, le maître d’ouvrage « était en droit de réduire le montant des sommes dont le paiement avait été demandé […] du montant des travaux qui n’avaient pas été exécutés conformément au marché » (CAA Bordeaux, 9 déc. 2010, n° 10BX00725, Société Dirickx Espace Protect).

Par une décision du 27 janvier 2017, le Conseil d’État s’est montré un peu plus précis, en jugeant que « dans l’hypothèse d’une rémunération directe du sous-traitant par le maître d’ouvrage, ce dernier peut contrôler l’exécution effective des travaux sous-traités et le montant de la créance du sous-traitant » (CE, 27 janv. 2017, n° 397311, Société Baudin Châteauneuf Dervaux).

Enfin, par la décision Société Keller Fondations Spéciales du 9 juin dernier, le Conseil d’État a jugé qu’au titre de ce contrôle de l’exécution effective des travaux, le maître d’ouvrage pouvait « s’assurer que la consistance des travaux réalisés par le sous-traitant correspondait à ce qui était prévu par le marché ». Dans cette espèce, il précise que quand bien même les travaux réalisés par le sous-traitant auraient été conformes aux règles de l’art, le maître d’ouvrage pouvait refuser de procéder au paiement direct dès lors qu’il apparaissait que "la consistance des travaux" « ne correspondait pas à ce que prévoyait le marché ».

Concrètement, donc, le maître d’ouvrage se trouve habilité à contrôler :

  • l’effectivité de la réalisation des prestations du sous-traitant ;
  • et la conformité de la consistance des prestations aux prescriptions du marché ; conformité qui ne devrait cependant pas se confondre avec la qualité proprement dite.

En définitive, sans que ne soit remise en cause le principe de l’absence de relation contractuelle entre le maître d’ouvrage et le sous-traitant, le juge administratif a érigé quelques garde-fous au droit au paiement direct, de sorte que le maître d’ouvrage puisse exercer un minimum de contrôle sur les prestations réalisées par le sous-traitant.

Sources :