Le maître d’ouvrage est souvent tenté de retarder l’établissement du décompte général définitif (DGD), si la réception de travaux a donné lieu à des réserves. La mise en place d’un décompte général définitif tacite introduit par l’arrêté du 3 mars 2014 modifiant le CCAG Travaux vient contrer ces pratiques qui ne respectent pas les règles prévues par ce dernier.
Pour mieux comprendre l’intérêt de la mise en place du DGD tacite, nous allons étudier le mécanisme prévu par le CCAG concernant l’établissement du DGD (I), puis les effets juridiques résultant de la réception de l’ouvrage et du DGD lui-même (II), enfin nous aborderons la problématique spécifique que soulève la réception avec réserves vis-à-vis du DGD (III).
I. Le DGD : un mécanisme résultant de la date de notification de la décision de réception des travaux
L’article 13.3.2 du CCAG Travaux prévoit quant à lui que « le titulaire transmet son projet de décompte final, simultanément au maître d'œuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur, par tout moyen permettant de donner une date certaine, dans un délai de quarante-cinq jours [« trente jours » à partir du 1er avril]* à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux telle qu'elle est prévue à l'article 41.3 ou, en l'absence d'une telle notification, à la fin de l'un des délais de trente jours fixés aux articles 41.1.3 et 41.3. »
Suite à cela, le maître d’œuvre accepte ou rectifie le projet de décompte final établi par le titulaire. Le projet accepté ou rectifié devient alors le décompte final. Puis le maître d'œuvre établit le projet de décompte général sur la base du décompte final auquel il rajoute la récapitulation des acomptes mensuels et du solde.
Le nouvel article 13.4.2 prévoit que « le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après :
- trente jours à compter de la réception par le maître d'œuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ;
- trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire. »
II. Les effets de la réception de travaux et du décompte général définitif
La réception met fin aux rapports contractuels en tant qu’ils concernent les désordres apparents causés à l’ouvrage ou à des tiers (sauf pour les réserves soulevées à la réception*) et marque le point de départ des garanties légales dues par les constructeurs, à savoir :
- la garantie de parfait achèvement, d’une durée d’un an (CCAG Travaux, art. 44.1) ;
- la garantie de bon fonctionnement des équipements dissociables (garantie biennale prévue à l’article 1792-3 du Code civil) ;
- la garantie décennale (C. civ., art. 1792 et s.) ;
- l’assurance construction de responsabilité.
De jurisprudence constante, le décompte général définitif est intangible et indivisible, met fin aux relations financières des parties au titre de l’exécution du marché de travaux. Dans l’arrêt du Conseil d’État en date du 8 décembre 1961, Société nouvelle compagnie générale des travaux, comme dans celui plus récent du 20 mars 2013, Centre Hospitalier de Versailles, le Conseil d’État rappelle que « l’ensemble des opérations auxquelles donne lieu l’exécution d’un marché public de travaux est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l’établissement du décompte définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties. »
III. Le problème des réserves
- les réserves correspondent à la non-réalisation de certains travaux ou prestations, comme visé à l’article 41.5 du CCAG Travaux. L’établissement du décompte final par le titulaire commence alors à courir, non à compter de la date de notification de la réception des travaux, mais à compter de la date du procès-verbal constatant l'exécution des travaux, objet des réserves ;
- cas plus problématique, celui des réserves résultant d'imperfections ou de malfaçons visées par l’article 41.6 du CCAG Travaux. L’établissement du décompte final par le titulaire commence alors à courir à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux, comme pour une réception sans réserves.
Comme l’indique le Conseil d’État dans sa décision du 6 avril 2007, Centre général hospitalier de Boulogne-sur-Mer, « il appartient au maître d'œuvre chargé d'établir le décompte général du marché, soit d'inclure dans ce décompte, au passif de l'entreprise responsable de ces désordres, les sommes correspondant aux conséquences de ces derniers, soit, s'il n'est pas alors en mesure de chiffrer lesdites conséquences avec certitude, d'attirer l'attention du maître de l'ouvrage sur la nécessité pour lui, en vue de sauvegarder ses droits, d'assortir la signature du décompte général de réserves relatives à ces conséquences [...]. »
En effet, comme le précise le Conseil d’État dans sa décision du 20 mars 2013, Centre Hospitalier de Versailles, « si le maître d’ouvrage notifie le décompte général d’un marché public de travaux alors même que des réserves relatives à l’état de l’ouvrage achevé n’ont pas été levées et qu’il n’est pas fait état des sommes correspondant à la réalisation des travaux nécessaires à la levée des réserves au sein de ce décompte, le caractère définitif de ce dernier a pour effet de lui interdire toute réclamation correspondant à ces sommes, même si un litige est en cours devant le juge administratif. »
Sources :
- Arrêté du 3 mars 2014 modifiant l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux
- CE, 20 mars 2013, Centre hospitalier de Versailles n° 357636
- CE, 16 janvier 2012, Commune du Château d’Oléron, n° 352122
- CE, Sect, 6 avril 2007, Centre général hospitalier de Boulogne-sur-Mer, n° 264490