Bienvenue au sixième CCAG : le CCAG Maîtrise d’œuvre !

Par Laurent Chomard

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Après des années où, sur le front des documents applicables aux contrats publics, rien n’avait changé, les CCAG ont été, enfin, modernisés en 2009. En 2010, nous voici offert par la Mission interministérielle pour la qualité de la construction publique (MIQCP) et le ministère de l’Écologie, du Développement durable et de la Mer (MEEDDM) un cahier des clauses administratives générales spécifique à la maîtrise d’œuvre dans le domaine de la construction. Quelle est la valeur de ce CCAG et sous quelle forme se présente-t-il ? Est-il un simple rééquilibrage en faveur du maître d’œuvre ? Certaines de ses clauses ne sont-elles pas sujettes à caution ?

I. Un CCAG pour en corriger un autre !

Denis Dessus, vice-président du Conseil national de l’Ordre des architectes (CNOA), indiquait, lors de la sortie du CCAG Prestations intellectuelles (PI), qu’il regrettait qu’il n’y ait pas eu, de la part de direction des Affaires juridiques, un CCAG spécifique à la maîtrise d’œuvre. C’est désormais chose faite. Sorti en décembre sur le site de la MIQCP, mais daté de septembre 2010, le cahier des clauses administratives (CCA) applicables aux marchés de maîtrise d’œuvre dans le domaine de la construction est présenté de façon originale.Le document propose une adaptation du CCAG PI par le jeu de dérogations et de précisions à inscrire au cahier des clauses administratives particulières (CCAP), ou un CCAG PI modifié, baptisé CCAG Maîtrise d’œuvre (CCAG Moe), avec des commentaires explicatifs pour les dérogations et modifications. L’acheteur public pourra donc, lors d’une consultation de maîtrise d’œuvre, soit se référer au CCAG PI avec les dérogations et les compléments à inscrire au CCAP, soit se référer au CCAG Moe. Outre son caractère pédagogique, cette méthode présente l’intérêt de laisser la liberté de choix à l’acheteur public et de ne pas bousculer les habitudes de ceux qui voudront, par prudence, continuer à viser explicitement le CCAG PI.Pourtant, le CCAG Moe a exactement la même valeur que les autres CCAG dans la mesure où tous ces textes n’ont pas de valeur contraignante et sont simplement des documents type, dépourvus de portée juridique (CE, 30 décembre 2009, Société Aquitaine Bio Teste, n° 319343).

II. Un CCAG en faveur des maîtres d’œuvre ?

Si le CCAG Moe a le mérite d’adapter au mieux le CCAG PI à la mission de maîtrise d’œuvre en remplaçant, par exemple, le terme de « réception des prestations » par celui d’« admission des prestations » afin d’éviter la confusion avec la réception des travaux, il permet aussi d’établir un CCAG beaucoup plus en faveur du titulaire du marché que dans tous les autres CCAG. Ainsi, l’article 20 du CCAG PI, qui prévoit l’arrêt des prestations à la fin d’une phase ou d’un élément de mission par le pouvoir adjudicateur, sans indemnité pour le titulaire, est totalement supprimé. Aussi, certains délais du CCAG PI sont rallongés au profit du maître d’œuvre. Par exemple, le délai de quinze jours au cours duquel le maître d’œuvre peut demander la prolongation du délai d’exécution en cas de force majeure est porté à 20 jours (CCAG Moe, art. 13.3.2). De même, le délai de quinze jours dont dispose le titulaire pour formuler des observations lorsque ses prestations font l’objet d’une réfaction passe à un mois à l’article 27.3 du CCAG Moe. En termes de droits de propriété intellectuelle, l’option B est supprimée, seule subsiste l’option A et sa concession des droits patrimoniaux de propriété littéraire et artistique. Une autre modification se veut un rééquilibrage des obligations contractuelles au profit du titulaire par l’introduction d’un dispositif organisant le respect du contradictoire en cas de rejet des prestations par le pouvoir adjudicateur. Ainsi, l’article 27.4.1 du CCAG Moe prévoit que : « La décision de rejet ne peut être prise qu’après que le titulaire ou son représentant ait été convoqué pour être entendu ». Puis, le titulaire dispose d’un mois pour formuler des observations et, suite à celles-ci, le pouvoir adjudicateur a un mois pour confirmer sa décision de rejet. Toutes ces modifications au profit du maître d’œuvre semblent parfois préjudiciables aux intérêts des acheteurs publics.

III. Des dispositions méritant des réserves

Le nouveau CCAG Moe prévoit en son article 12.1 sur la cotraitrance que chaque membre d’un groupement solidaire perçoit directement les sommes se rapportant à l’exécution de ses propres prestations. Or, l’article 51-III du Code des marchés publics dispose qu’« en cas de groupement solidaire, l’acte d’engagement est un document unique qui indique le montant total du marché et l’ensemble des prestations que les membres du groupement s’engagent solidairement à réaliser ». Ce n’est qu’en cas de groupement conjoint que le code prévoit que l’acte d’engagement indique le montant et la répartition détaillée des prestations que chacun des membres s’engage à exécuter. S’il est vrai que les marchés de maîtrise d’œuvre font systématiquement apparaître la répartition détaillée des prestations, la façon de payer les prestations induit la responsabilité des cotraitants. Un groupement solidaire demande normalement un compte bancaire commun aux cotraitants, et si l’acte d’engagement ne précise pas la nature du groupement, la forme de paiement prévue par le CCAG Moe établit une présomption systématique de groupement conjoint. L’on peut aussi émettre des réserves sur la réécriture des droits de propriété intellectuelle en ce qui concerne le régime des connaissances antérieures prévu à l’article 24 du CCAG PI. Il semble que les rédacteurs du CCAG Moe, en écrivant que « le maître d’œuvre met ses connaissances antérieures au service du pouvoir adjudicateur » et en supprimant les articles 24.2 et 24.3 du CCAG PI, mesurent mal que ce dispositif est impropre. En effet, les « connaissances antérieures », néologisme propre aux CCAG, sont les « informations et les droits de propriété intellectuelle que détient chaque participant avant d’entrer dans le projet ». Les connaissances antérieures s’opposent donc aux résultats et les CCAG prévoient que chacun des protagonistes du marché reste propriétaire des connaissances antérieures. Si le titulaire incorpore des connaissances antérieures dans les résultats du marché, il concède au pouvoir adjudicateur le droit de les utiliser, mais à titre non exclusif dans la mesure où ceux-ci sont strictement nécessaires à l’utilisation des résultats. L’on comprend toutefois que le CCAG PI tente, par ce dispositif, de protéger le pouvoir adjudicateur du piège des chaînes de droits qui peut le rendre contrefacteur sans le savoir. Or, c’est cette protection qui saute pour le pouvoir adjudicateur avec cette réécriture du régime des « connaissances antérieures ». Sources :