Moyens opérants et recours « Département de Tarn-et-Garonne » : qui, comment, et surtout quand ?

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S’il pouvait subsister quelques doutes, ils sont désormais dissipés : ce sont bien toutes les nouveautés procédurales introduites par la jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne qui s’appliquent aux recours introduits à l’encontre, seulement, des contrats conclus depuis le 4 avril 2014. La solennelle Section du contentieux du Conseil d’État a tranché la question le 5 février 2016 dans un arrêt Syndicat mixte des transports en commun Hérault Transport.

L’affaire en cause concerne un marché à bons de commande portant sur des services de transport scolaire et de voyageurs conclu en 2009 entre le syndicat mixte des transports en commun Hérault Transport et le groupement d'entreprises Pons Laurès. Concurrente évincée, la société Voyages Guirette a saisi la juridiction administrative d’un recours en contestation de la validité de ce contrat (le recours Tropic). Ayant en première instance vu sa requête rejetée par le tribunal administratif de Montpellier, la société a saisi la cour administrative d’appel de Marseille qui a fait droit à sa demande et prononcé la résiliation du contrat litigieux. Le syndicat mixte des transports en commun Hérault Transport se pourvoit alors en cassation. Ce dernier fondait notamment son argumentation sur le fait que les juges du fond auraient dû rechercher si les moyens invoqués par la société pouvaient l’être utilement, eu égard à l'intérêt lésé dont elle se prévalait. Il s’appuyait en cela sur la jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne selon laquelle le requérant (y compris le candidat évincé) doit démontrer que les moyens soulevés, à peine d’irrecevabilité, se rattachent à un intérêt dont il estime avoir été lésé, indépendamment des moyens d’ordre public qui peuvent être soulevés d’office par le juge.

Par cet important arrêt Département de Tarn-et-Garonne rendu le 4 avril 2014, le Conseil d’État a certes admis la possibilité pour les tiers dont les intérêts auraient été lésés par la passation ou les clauses d’un marché public (et non plus seulement les « concurrents évincés ») d’en contester directement la validité devant le juge administratif mais il a aussi, en effet, limité les chances de réussite des candidats évincés en ne leur permettant plus que d’invoquer des « vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ».

Néanmoins, le Conseil d’État rejette l’argumentation du syndicat mixte, considérant que cette nouveauté procédurale n’est pas applicable en l’espèce. En cela, il applique et précise à la fois sa jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne. La haute juridiction administrative avait en effet indiqué dès 2014 que « le recours [ainsi] défini ne pourra être exercé par les tiers qui n’en bénéficiaient pas et selon les modalités précitées qu’à l’encontre des contrats signés à compter de la lecture de la présente décision ». Le marché à bons de commande litigieux ayant été signé en 2009, le recours « doit être apprécié au regard des règles applicables avant ladite décision, qui permettaient à tout requérant qui aurait eu intérêt à conclure un contrat administratif d'invoquer tout moyen à l'appui de son recours contre le contrat ».

Alors que la rédaction de la décision Département de Tarn-et-Garonne pouvait suggérer que seul l’exercice du nouveau recours ouvert « aux tiers qui n’en bénéficiaient pas » était concerné par une application différée, l’arrêt du 5 février 2016 nous précise qu’elle s’applique également à la limitation des moyens susceptibles d’être invoqués par les candidats évincés, lesquels bénéficiaient déjà de ce recours depuis la jurisprudence Société Tropic Travaux Signalisation de 2007. Cette décision témoigne de la volonté du Conseil d’État d’assurer la meilleure protection possible aux relations contractuelles en cours, laquelle trouve un fondement dans le principe de sécurité juridique consacré en 2006 (CE, Ass., 24 mars 2006, Société KPMG et a., no 288460).

L’argumentation tirée du caractère inopérant des moyens de la société Voyage Guirette écartée, le Conseil d’État en vient au fond de l’affaire et nous livre un intéressant cas d’application au sujet des exceptions permettant de déroger à la durée maximale fixée pour les marchés à bons de commande. L’article 77 du Code des marchés publics dispose que : « La durée des marchés à bons de commande ne peut dépasser quatre ans, sauf dans des cas exceptionnels dûment justifiés, notamment par leur objet ou par le fait que leur exécution nécessite des investissements amortissables sur une durée supérieure à quatre ans. »

Comme toute exception, elle est d’interprétation stricte. L’acheteur considérait que ses « exigences qualitatives en matière de sécurité, d'accessibilité et de normes environnementales » nécessitaient des investissements importants et pouvaient justifier, économiquement, de déroger à cette règle et porter la durée du marché à six ans. Pour le Conseil d’État en revanche, puisque, d’une part, « la durée d'amortissement des véhicules utilisés, retenue par l'administration fiscale, était de quatre ou cinq ans et, d'autre part, que l'attributaire pouvait utiliser des véhicules d'une ancienneté maximale de dix ans », le syndicat mixte n’était pas placé dans un cas exceptionnel justifiant la dérogation à l’article 77 du Code des marchés publics.

Sources :

Lire également :

  • « Printemps du contentieux des contrats : la révolution du Conseil d’État » – La Lettre Légibase Marchés publics n° 104
  •  « Recours Tropic : amplifié et limité mais unifié » – La Lettre Légibase Marchés publics n° 113