Les marchés publics : instruments des politiques publiques ?

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« La Commission européenne va-t-elle repolitiser les marchés publics ? » La question posée par le bimensuel Alter-Échos dans un article du 16 janvier peut surprendre. Pourtant, à la lecture de l'exposé des motifs de la proposition de directive européenne sur la révision des procédures de passation des marchés publics, on peut légitimement se poser la question.

Car ce qui motive la révision des directives européennes sur les marchés publics, c'est notamment l'adoption de la stratégie « Europe 2020 », dont les priorités sont le développement d'une économie « fondée sur la connaissance et l’innovation », mais aussi « sobre en carbone, économe dans la consommation des ressources et compétitive », et qui favorise la cohésion sociale et territoriale.

« La stratégie "Europe 2020" confère un rôle essentiel aux marchés publics, qu’elle considère comme l’un des instruments de marché à employer pour atteindre ces objectifs », indique l'exposé des motifs de la proposition de loi. De ce point de vue, les marchés publics deviendraient alors des instruments de la réalisation de politiques publiques. Le projet de directive présenté à la Commission européenne donne les moyens aux acheteurs de mieux « utiliser l’instrument des marchés publics au soutien d’objectifs sociétaux communs, par exemple protéger l’environnement, veiller à une meilleure utilisation des ressources […] promouvoir l’innovation, l’emploi et l’inclusion sociale », indique le texte.

Faut-il y voir un changement de perspective ? Traditionnellement, la passation des marchés publics a pour objectif de faire le meilleur usage possible des deniers publics. En sélectionnant l'offre la « mieux-disante », l'acheteur garantit à la collectivité des services, des fournitures ou des travaux ayant le meilleur rapport qualité-prix. Mais récemment, les explications sur la notion d' « offre la mieux-disante » se sont multipliées.

En France, le ministère de l’Économie ne se prive pas de rappeler que le critère du prix ne doit pas être le seul à prendre en compte lors du choix du prestataire. L'insertion de clauses environnementales et sociales dans les marchés publics semble aller dans le sens du Parlement européen. Les marchés publics deviennent ainsi des moyens d'influer sur l'évolution de la société (par l'embauche de personnes éloignées de l'emploi, par la priorité donnée aux circuits courts dans le secteur agricole...).

Cette évolution a été confirmée par la consultation organisée à l'occasion de la publication par la Commission européenne d'un Livre vert « sur la modernisation de la politique de l’Union européenne en matière de marchés publics », au mois de janvier 2011. La synthèse des réponses à la consultation révèle ainsi une volonté de « revoir les directives sur les marchés publics de manière à les rendre mieux adaptées aux nouveaux défis auxquels sont confrontés aussi bien les acheteurs publics que les opérateurs économiques ».

Mais si la société civile semble favorable à cette évolution, les entreprises se révèlent de leur côté plus réticentes, craignant de voir l'Union européenne interférer au sein des décisions des acheteurs et complexifier le cadre juridique existant. Le changement annoncé a-t-il déjà été amorcé, puisque les acheteurs ont d'ores et déjà la possibilité d'inclure certaines clauses dans la rédaction de leur marchés ? Protection de l'environnement, insertion professionnelle, innovation... la possibilité d'utiliser ces critères comme instruments des politiques publiques demeure, pour l'heure, limitée par leur nécessité d'être non discriminatoires et en lien avec l'objet du marché (CMP, art. 53-1).

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