Grâce au Conseil d’État, les marchés publics prêts pour les arbitrages du CETA

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Il est rare que la jurisprudence permette d’anticiper sur le droit futur. C’est ce qu’a fait le Conseil d’État mercredi 9 novembre 2016 en se prononçant pour la première fois sur les conditions de contrôle de la licéité d’une sentence arbitrale internationale : outre la légalité externe, les conditions de légalité interne assurent le respect de l’ordre public, en particulier le statut exorbitant du droit commun du contractant public. Un tel arrêt s’inscrit dans un contexte de défiance face au libre-échange, dont l’instrument phare est le Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA), signé le 30 octobre dernier par le Premier ministre canadien Justin Trudeau et le président du Conseil européen Donald Tusk.

En principe, un contrat public ne peut faire l’objet d’une compromission. Les marchés publics ne peuvent faire l’objet d’un arbitrage que dans des cas très particuliers : soit la loi le prévoit expressément pour certaines catégories de personnes publics (notamment la loi no 86-972 du 19 août 1986), soit leur complexité impose la mise en place de modalités adaptées de règlement des litiges (CE, 29 octobre 2004, Sueur et autres, no 269814). Des conventions internationales permettent également d’y déroger, comme cela a été le cas pour de grands équipements internationaux (tunnels sous la Manche et sous les Alpes par exemple). Le CETA prévoit le recours à l’arbitrage par défaut pour tous les contrats passés entre des entreprises européennes et canadiennes d’une part et des personnes publiques canadiennes ou européennes d’autres part, selon les articles 14.1 et suivants du traité consolidé.

L’arrêt rendu le 9 novembre par le Conseil d’État  portait sur un marché public international particulier, car passé par une partie qui était alors un établissement public industriel et commercial, Gaz de France, pour la construction d’un terminal méthanier. Par le jeu des privatisations et des filialisations, le contentieux tranché par le juge administratif n’engageait plus que des personnes privées : la société Fosmax, qui a pris la succession de Gaz de France d’une part, et le groupement STS d’autre part. La société Fosmax avait mis en œuvre la procédure d’arbitrage prévue par le contrat en sollicitant de la Chambre de commerce internationale une sentence afin d’obtenir réparation du préjudice résultant pour elle du retard et des malfaçons dans la livraison du terminal méthanier. La Chambre de commerce internationale condamne pourtant Fosmax à payer au groupement STS une somme de 87 947 425 euros au titre du bouleversement de l’économie du contrat. Fosmax se pourvoit en cassation contre cette sentence, en demandant au Conseil d’État  de trancher. Le Tribunal des conflits ayant reconnu la compétence de la jurisprudence administrative le 11 avril 2016, la haute juridiction donne raison à Fosmax et annule le point de la sentence qui rejette la demande formulée par Fosmax de remboursement du coût des travaux exécutés aux frais et risques du titulaire.

Ce qui intéresse au regard du contexte global de généralisation possible du recours à l’arbitrage dans les contrats publics conclus entre le Canada et l’Europe n’est pas le succès de Fosmax, mais les rouages du raisonnement du Conseil d’État. En effet, pour trancher ce litige, le juge a expliqué les conditions de licéité d’un arbitrage international.

Concernant la compétence du juge administratif pour examiner la licéité de la sentence, il considère que « le recours dirigé contre une sentence arbitrale rendue en France dans un litige né de l’exécution ou de la rupture d’un contrat conclu entre une personne morale de droit public française et une personne de droit étranger, exécuté sur le territoire français mais mettant en jeu les intérêts du commerce international, ressortit, lorsque le contrat relève d’un régime administratif d’ordre public et que le recours implique, par suite, un contrôle de la conformité de la sentence arbitrale aux règles impératives du droit public français relatives à l’occupation du domaine public ou à celles qui régissent la commande publique, à la compétence de la juridiction administrative ».

Concernant la licéité externe de la sentence, le juge considère qu’en « l’absence de règles procédurales applicables aux instances arbitrales relevant de la compétence de la juridiction administrative, une sentence arbitrale ne peut être regardée comme rendue dans des conditions irrégulières que si le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent, s’il a été irrégulièrement composé, notamment au regard des principes d’indépendance et d’impartialité, s’il n’a pas statué conformément à la mission qui lui avait été confiée, s’il a méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure ou s’il n’a pas motivé sa sentence ». Les grands principes applicables au contentieux administratif doivent donc l’être également aux travaux des arbitres. En l’espèce, tant les principes du contradictoire que les principes d’indépendance et d’impartialité avaient été respectés. Ce sont les moyens soulevés au fond qui ont fait mouche.

Concernant la légalité interne de la sentence, le juge administratif contrôle si elle n’est pas « contraire à l’ordre public lorsqu’elle fait application d’un contrat dont l’objet est illicite ou entaché d’un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, lorsqu’elle méconnaît des règles auxquelles les personnes publiques ne peuvent déroger, telles que notamment l’interdiction de consentir des libéralités, d’aliéner le domaine public ou de renoncer aux prérogatives dont ces personnes disposent dans l’intérêt général au cours de l’exécution du contrat, ou lorsqu’elle méconnaît les règles d’ordre public du droit de l’Union européenne ». Dans le cas Fosmax, le juge considère contraire à l’ordre public les éléments de la sentence reprochant au successeur de Gaz de France de n’avoir pas résilié le contrat avant de prononcer la mise en régie des travaux, afin qu’ils soient réalisés aux frais et risques du titulaire négligent.

Par cet arrêt, le Conseil d’État  donne un cadre aux travaux futurs des arbitres sur les marchés publics internationaux : sans respect des principes de compétence des arbitres, de leur indépendance et impartialité, de la conformité de sa décision à la saisine, du contradictoire et de la motivation des sentences et si la sentence est contraire à l’ordre public, ils ne seront pas licites. Les peurs soulevées par le libre-échange à cet égard devraient être levées.

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