Et un, et deux, et trois Béziers !

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Véritable feuilleton administratif, la série de décisions rendues depuis 2009 par le Conseil d’État dans le litige opposant les communes de Béziers et de Villeneuve-lès-Béziers pourrait bien s’achever avec cette décision rendue le 27 février 2015 par les troisième et huitième sous-section du contentieux.

En effet, la jurisprudence « Béziers 1 » avait permis de tirer les conséquences sur la validité du contrat d’un vice affectant celui-ci. Fondant son analyse sur le principe de loyauté contractuelle, le Conseil d’État a admis la possibilité pour le juge administratif de ne pas annuler un contrat dès lors que l’irrégularité invoquée ne tenait pas au caractère illicite de son contenu ou à un vice d’une particulière gravité affectant notamment les conditions dans lesquelles les parties avaient exprimé leur consentement.

Dans le prolongement de cette première décision, la jurisprudence « Béziers 2 » portait sur les conditions dans lesquelles le juge administratif peut faire droit à une demande de reprise de relations contractuelles suite à la résiliation du contrat par l’une des parties en raison d’un vice affectant celui-ci. La haute juridiction administrative a alors considéré que, pour faire droit à une telle demande, il incombe au juge du contrat d’apprécier notamment, eu égard à la gravité des vices constatés et aux motifs de la résiliation, si une telle reprise des relations contractuelles n’est pas de nature à porter une atteinte excessive à l’intérêt général ainsi qu’aux droits du titulaire d’un nouveau contrat dont la conclusion a été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse.

Cette dernière décision, dite « Béziers 3 », s’attache à apprécier la validité des motifs susceptibles de justifier la résiliation unilatérale du contrat fondée sur la rupture de l’équilibre économique de celui-ci.

Pour mémoire, le contentieux entre les deux collectivités était intervenu à propos d’une convention par laquelle la commune de Villeneuve-lès-Béziers s’était engagée à verser à la commune de Béziers une fraction des sommes qu’elle percevrait au titre de la taxe professionnelle. Les deux collectivités étaient effectivement membres d’un syndicat intercommunal à vocation multiple dans le cadre duquel elles ont réalisé une opération d’extension d’une zone industrielle intégralement située sur le territoire de la commune de Villeneuve-lès-Béziers. Conformément à l’article 11 de la loi du 10 janvier 1980 portant aménagement de la fiscalité directe locale, les deux communes avaient donc choisi de conclure une convention dont l’objet était de répartir entre elles la part communale de cette taxe. Après dix années d’exécution paisible, la commune de Villeneuve-lès-Béziers argua cependant de la modification de l’équilibre économique du contrat afin de résilier unilatéralement cette convention.

La commune de Béziers saisit alors le tribunal administratif de Montpellier afin d’obtenir le paiement des sommes non versées depuis la résiliation de la convention. Celui-ci refusa toutefois de faire droit à sa demande. Saisie du litige, la cour administrative d’appel de Marseille infirma la solution rendue en première instance tout en refusant de faire droit à la demande de la commune. Le juge administratif d’appel estima effectivement que la convention signée entre les deux collectivités devait être déclarée nulle. Par une décision du 29 décembre 2009 (« Béziers 1 »), le Conseil d’État annula l’arrêt d’appel en ce qu’il rejetait la demande formulée par la commune de Béziers. Face au refus de la juridiction de renvoi de faire droit à sa demande, cette dernière se pourvut alors à nouveau en cassation devant le Conseil d’État.

La question était alors de savoir si l’apparition d’un simple déséquilibre dans les relations entre les parties au contrat au cours de son exécution suffisait à justifier la résiliation unilatérale de ce contrat pour motif d’intérêt général. La haute juridiction administrative répondit par la négative en rappelant la rigueur des conditions de validité d’une résiliation unilatérale du contrat pour un tel motif. Effectivement, la simple évolution de l’équilibre contractuel n’est pas à même de justifier la résiliation du contrat pour motif d’intérêt général. Cette notion est un peu particulière ici : sont considérés d'intérêt général (et ainsi susceptible de justifier pareille résiliation) notamment un bouleversement de l’équilibre du contrat ou la disparition de sa cause. Ainsi, c’est à tort que le juge administratif d’appel avait estimé que la résiliation de la convention conclue entre les deux collectivités était valablement motivée, d’une part, par le fait que les équipements primaires de la zone industrielle était amortis et que la commune de Villeneuve-lès-Béziers n’assurait plus aucune prestation sur cette zone, et, d’autre part, qu’aucun accord entre les parties sur le réexamen du contenu de cette convention n’avait pu être trouvé. Effectivement, ces différents éléments ne caractérisaient pas un bouleversement de l’équilibre de la convention, mais une simple évolution  de l’équilibre de celle-ci qui était prévisible dès sa conclusion par les collectivités. Comme le souligne le Conseil d’État, la solution aurait été cependant différente dans l’hypothèse où le principe même de la perception de la taxe professionnelle par la commune de Villeneuve-lès-Béziers aurait été mis à mal. La convention aurait alors perdu toute cause, permettant ainsi à l’une des parties au contrat de prononcer sa résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général.

Si le contentieux en question ne touche pas directement au droit de la commande publique, il n'en demeure pas moins qu'il y est applicable. Nombre de marchés publics sont aujourd'hui passés entre personnes publiques, qu'il s'agisse d'un contrat entre deux collectivités territoriales, comme l'arrêt Armor SNC nous en a donné l'illustration récemment, ou un contrat entre une collectivité et une société publique locale par exemple. L'application de ce régime de résiliation ne peut plus être éludée.

Il s’agit donc pour les personnes publiques de veiller à la validité des motifs de résiliation unilatérale des contrats auxquels celles-ci sont parties lorsqu’elles décident d’y mettre un terme. En effet, une simple modification de l’équilibre contractuel ne constitue par un motif d’intérêt général de nature à justifier une telle résiliation.

Sources :