Critère du caractère onéreux des marchés publics : la CJUE fait escale à Milan Malpensa

Par Emmanuel Camus

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Par une décision du 13 juillet 2017, la Cour de justice de l’Union européenne rappelle les conditions de qualification d’un marché de prestation de services au sens du droit communautaire. La CJUE a jugé que l’article 7 de la directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui ne prévoit pas de procédure préalable d’appel d’offres publique pour les attributions d’espaces destinés à l’assistance aéroportuaire en escale, qui ne sont pas assorties du versement d’une rémunération par le gestionnaire de l’aéroport.

La décision commentée présente l’intérêt de revenir sur la qualification de marché public au sens du droit communautaire, laquelle implique le versement d’une rémunération ; et en conséquence sur le champ d’application de la directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, étant entendu que les marchés publics sont l’un des secteurs où l’impact du droit communautaire sur le droit national est le plus perceptible.

Le litige objet du renvoi préjudiciel devant la Cour est né dans le cadre des relations existant entre l’entreprise gestionnaire de l’aéroport de Milan Malpensa, la Società Esercizi Aeroportuali S. p. A (ci-après « SEA ») et deux des entreprises prestataires des services d’assistance en escale dans cet aéroport.

L’une de ces deux entreprises, Malpensa Logistica, conteste la décision de la SEA d’attribuer directement à sa concurrente l’usage provisoire d’une installation aéroportuaire, sans qu’une procédure préalable d’appel d’offres ait eu lieu sur le fondement d’une règlementation nationale qui consacre le libre accès des prestataires de services au marché des services d’assistance en escale, sans procédure préalable d’appel d’offres publique.

Saisi du litige, le Tribunal administratif régional pour la Lombardie interroge la CJUE sur la compatibilité de cette règlementation avec l’article 7 de la directive 2004/17, qui soumet aux règles régissant la passation des marchés publics communautaires les activités d’exploitation d’une aire géographique dans le but de mettre à la disposition des transporteurs aériens des aéroports.

À cette occasion, la CJUE va écarter l’application de la directive 2004/17 au contrat en cause en relevant que celui-ci, tel que présenté par la juridiction de renvoi, ne peut être qualifié de « marché de services », dès lors que l’entité gestionnaire de l’aéroport de Milan Malpensa n’a pas acquis un service fourni par le prestataire contre rémunération (considérant 29 de l’arrêt).

Au sens de la jurisprudence communautaire, le marché de services comporte ainsi une contrepartie qui, sans pour autant être la seule, « est payée directement par le pouvoir adjudicateur au prestataire de services » (CJUE, 8 sept. 2016, aff. C-225/15, Politano).

Il est possible de se rapporter aux conclusions de l’avocat général dans cette affaire, pour mieux comprendre la teneur du contrat dont il est question. Celui-ci note que « les prestataires de service d’assistance en escale versent à la SEA, en sa qualité d’entité gestionnaire, une redevance annuelle calculée en fonction des mètres carrés d’installations qu’ils occupent. Cette rémunération apparaît donc comme une contrepartie à l’utilisation des espaces aéroportuaires et trouve son fondement dans l’article 16, paragraphe 3, de la directive 96/67 ».

Par suite, le présent contrat, selon l’avocat général, ne constitue pas un marché public de service mais s’apparente plutôt à une concession de services laquelle est, en tout état de cause, exclue du champ d’application de la directive 2004/17. La CJUE suit le raisonnement de son avocat général : en l’absence d’une rémunération versée par le pouvoir adjudicateur au prestataire de service, il ne peut y avoir marché public. En conséquence, une réglementation nationale telle que celle en cause peut s’abstenir de prévoir une procédure préalable d’appel d’offres publique pour les attributions, y compris temporaires, d’espaces destinés à l’assistance aéroportuaire en escale, qui ne sont pas assorties du versement d’une rémunération par le gestionnaire de l’aéroport (considérant 35 de l’arrêt).

Cette interprétation stricte du critère onéreux par la CJUE est donc intéressante, en ce qu’elle est l’occasion de rappeler la fragilité de celui-ci, objet d’interprétations jurisprudentielles fluctuantes, notamment en droit national. Ainsi, le Conseil d’État retient de manière classique qu’en l’absence du versement d’un prix, le caractère onéreux peut également résulter d’un abandon par l’acheteur public d’une possibilité de recette liée à l’exécution du marché. Il est fait référence ici à l’exemple des marchés de mobilier urbain dans lesquels une société installe du mobilier urbain sans recevoir le paiement d’un prix par la ville, mais une autorisation d’exploiter, à titre exclusif, une partie dudit mobilier avec exonération de redevance pour occupation du domaine public. Cet abandon de recette constitue alors la contrepartie onéreuse de la prestation (CE, 4 nov. 2005, n° 247298, Société Jean-Claude Decaux).

On se rapportera en outre utilement à la définition arrêtée dans un arrêt Müller qui considère que le caractère onéreux du contrat est identifié s’il comporte un intérêt économique direct pour le pouvoir adjudicateur (CJUE, 25 mars 2010, aff.C-451/08, Helmut Müller c/ Bundesanstalt für Immobilienaugaben).

Le présent arrêt consacre donc le caractère onéreux comme étant une composante essentielle d’un marché public soumis, en tant que tel, aux directives européennes régissant les marchés publics.

Néanmoins, en l’espèce, s’agissant de l’attribution d’espaces aéroportuaires destinés aux services d’assistance en escale, pour lesquels l’attributaire verse une redevance annuelle calculée en fonction des mètres carrés d’installations qu’il occupe (cf. conclusions de l’avocat général), la directive 96/67/CE du Conseil, du 15 octobre 1996, relative à l’accès au marché de l’assistance en escale dans les aéroports de l’Union, prévoit que la répartition des espaces disponibles dans un aéroport entre les différents prestataires de services et les différents usagers pratiquant l’auto-assistance doit être effectuée « dans la mesure nécessaire à l’exercice de leurs droits et pour permettre une concurrence effective et loyale sur la base de règles et de critères pertinents, objectifs, transparents et non discriminatoires » (considérant 7 de l’arrêt).

Si donc, il n’est pas imposé, à proprement parler, un appel d’offres comme dans les marchés publics, les principes de liberté d’accès, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures se retrouvent à l’identique (considérants 32 et 33 de l’arrêt). Autrement dit, une mise en concurrence, respectant ces principes, s’impose pour les attributions d’espaces destinés à l’assistance aéroportuaire en escale, et c’est bien ce qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi italienne de vérifier avant de trancher le litige sur le fond (considérant 34 de l’arrêt).

Sources :