Communication des documents des marchés publics : stabilité remarquable de la jurisprudence

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La loi pour une République numérique promulguée le 7 octobre 2016 porte des avancées en matière de communication des documents administratifs, mais des exceptions au principe de communication demeurent. Par un arrêt du 28 septembre 2016, le Conseil d’État l’a rappelé à trois titres : s’il confirme qu’en principe les documents achevés sont communicables par l’administration, tel n’est pas le cas des documents qui n’existent pas tout d’abord, ni le cas de documents dont la production attenterait au déroulement équitable du procès, ni enfin le cas des documents dont la communication contreviendrait au secret industriel et commercial. La jurisprudence est particulièrement stable en la matière.

En l’espèce, des concurrents évincés d’un marché de fournitures passé par le ministère de l’Intérieur demandaient que leur soient communiquées les offres initiales et finales globales des candidats non retenus, ainsi que la décomposition du prix global et forfaitaire du marché finalement conclu. Le juge du fond leur a partiellement donné raison. S’il a été enjoint au ministère de communiquer ces documents, doivent y être occultées ou disjointes les éventuelles mentions y figurant relatives au détail de l’offre de prix des candidats. Les candidats demandent dès lors la cassation de cette décision, afin d’obtenir tous les documents.

Depuis la loi sur la communication des documents administratifs (ou loi « CADA ») de 1978, les personnes publiques « sont tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande ». Si le cas d’espèce tranché par le juge reposait encore sur ce texte, il est à noter que ces dispositions sont désormais codifiées dans le livre III du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA, art. L. 311-1 et s.). À ce principe répondent toutefois de très nombreuses atténuations et exceptions. Ainsi ne peuvent être communiqués que les documents achevés, sauf pour des avis, prévus par les textes législatifs ou réglementaires, au visa desquels une décision rendue sur une demande tendant à bénéficier d’une décision individuelle créatrice de droits est prise. Ainsi également, des exceptions absolues coexistent avec des exceptions relatives au principe. Les exceptions absolues portent sur l’impossibilité de communiquer des documents dont la consultation porterait atteinte au caractère secret des actes de gouvernement, de la sûreté et de la défense nationale, de la confiance et de la monnaie, ou encore afférents au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures (CRPA, art. L. 311-5). Les exceptions relatives ne permettent qu’une communication à l’intéressé de documents administratifs portant sur sa vie privée, sur le secret médical et couverts par le secret en matière commerciale et industrielle (CRPA, art. L. 311-6). Le législateur prend toutefois en compte le caractère mixte de certains documents, dans lesquels se trouvent des informations communicables et d’autres couvertes par le secret : l’article L. 311-7 du même code dispose ainsi que « lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. »

Compte tenu de ce cadre juridique, l’arrêt du 28 septembre du Conseil d’État, Sociétés Armor Développement et autres, n’étonne pas, mais permet de l’illustrer dans le double contexte d’un contentieux et de documents propres aux marchés publics.

Sur la procédure administrative contentieuse, le juge de cassation rappelle que s’il appartient au juge administratif de requérir des administrations compétentes la production de tous les documents nécessaires à la solution des litiges qui lui sont soumis à la seule exception de ceux qui sont couverts par un secret garanti par la loi et opposable au juge d’une part et que ce juge doit, du fait du caractère contradictoire de la procédure, communiquer à chacune des parties toutes les pièces produites au cours de l’instance, « cette exigence est nécessairement exclue en ce qui concerne les documents dont le refus de communication constitue l’objet même du litige » (CE, 23 déc. 1988, Banque de France, no 95310). Cette mission du juge se retrouve également dans la recherche de la preuve puisque si le juge de l’excès de pouvoir doit former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties et peut ainsi écarter des allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger du requérant que ce dernier apporte la preuve des faits qu’il avance. En conséquence, le cas échéant, il revient à ce juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d’allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l’administration en défense, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d’instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l’administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur (CE, 26 nov. 2012, Brigitte B., no 354108).

Si ces documents ne peuvent être communiqués aux parties, ils doivent l’être au juge de cassation afin qu’il remplisse son office, affirme toutefois pour la première fois le Conseil d’État dans cet arrêt.

En revanche, un document qui n’existe pas n’a pas à être communiqué : en l’espèce, la production du document demandé ayant été remplacé par une réunion qui n’a pas fait l’objet d’un procès-verbal, le juge se heurte à une impossibilité matérielle d’en enjoindre la communication. Il considère ainsi la demande sans objet et est confirmé en cela par le juge de cassation.

En application d’une exception absolue au principe de communicabilité des documents administratifs, le juge accepte qu’un avis rédigé dans la perspective d’un contentieux afin d’évaluer les risques et faiblesses juridiques de la procédure de passation du marché en cause ne lui soit pas communicable. La communication d’un tel document aurait conduit la partie en défense à plaider contre sa propre cause, ce qui porterait atteinte au caractère équitable du procès et donc au déroulement d’une procédure juridictionnelle engagée (CRPA, art. L. 311-5, f).

En matière de marchés publics, le juge rappelle que l’ensemble des documents achevés sont des documents administratifs. Ils sont donc communicables. Toutefois, si certains documents ou parties de documents « reflètent la stratégie commerciale de l’entreprise opérant dans un secteur d’activité et sont ainsi susceptibles de porter atteinte au secret commercial, tel le bordereau des prix unitaires de cette entreprise », ils ne sont pas communicables, afin de préserver le secret industriel et commercial. En l’espèce, le bordereau des prix unitaires, le détail quantitatif estimatif du marché et l’offre finale détaillée du candidat retenu ne sont donc pas communicables d’une part, et le rapport d’analyse des candidatures, le rapport final d’analyse des offres et le rapport de présentation final pouvaient bien être occultés de certaines informations dans le même but. Le Conseil d’État confirme ainsi sa jurisprudence Centre hospitalier de Perpignan du 30 mars 2016.

À l’heure où l’open data se généralise, la lisibilité de la jurisprudence administrative permet de distinguer clairement ce qui doit être publié ou communiqué… et ce qui ne doit pas l’être, même au juge !

Sources :

Lire également :

  • « Open data et marché public » – La lettre Légibase marchés publics no 144