Commande publique et état d’urgence sanitaire : le récapitulatif !

Par Emmanuel Camus

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L’ordonnance no 2020-319 du 25 mars 2020 parue au Journal officiel du 26 mars 2020 comporte un certain nombre de mesures dérogatoires applicables aux contrats publics pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19. Elles viennent s’ajouter à un dispositif que tout acheteur devra maîtriser afin de faire face aux situations inédites qui ne manqueront pas de survenir dans les prochaines semaines.

Le dispositif applicable à la commande publique en période d’urgence sanitaire s’est étoffé avec l’ordonnance no 2020-319, qui vient compléter une série de recommandations du gouvernement intervenue au début de la crise.

1. Des ajustements du point de vue de la passation des marchés

Le Code de la commande publique comporte déjà, en principe, des dispositions pour faire face aux circonstances exceptionnelles. Les acheteurs connaissant bien, en effet, l’article R. 2122-1 du Code de la commande publique qui les autorise « à passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsqu'une urgence impérieuse résultant de circonstances extérieures et qu'il ne pouvait pas prévoir ne permet pas de respecter les délais minimaux exigés par les procédures formalisées ». Toutefois, ce cas de recours concerne essentiellement de nouveaux marchés et est limité « aux prestations strictement nécessaires pour faire face à la situation d'urgence », rendant son application plus incertaine et probablement principalement réservée aux acheteurs hospitaliers.

S’agissant toujours des marchés devant être lancés de manière urgente, une fiche et une foire aux questions de la Direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy ont précisé que dans l’hypothèse où la satisfaction d’un besoin est urgente, les acheteurs publics peuvent appliquer les délais réduits de publicité (CCP, art. R. 2161-8, 3°).

L’ordonnance no 2020-319 s’est attaquée à d’autres circonstances, qui concernent les procédures en cours. L’article 2 de l’ordonnance précise ainsi que les délais de réception des candidatures et des offres dans les procédures en cours doivent être prolongés pour permettre aux opérateurs économiques de présenter leur candidature ou de soumissionner, « sauf lorsque les prestations objet du contrat ne peuvent souffrir aucun retard ». Il ne s’agit pas, dans ce cas précis, d’une disposition qui vient alléger le calendrier des acheteurs : celle-ci doit s’apprécier dans un ensemble plus global de mesures à destination des entreprises pour leur permettre d’accéder à la commande publique dans une période où le carnet de commandes et la trésorerie sont mis à mal.

L’article 3 de l’ordonnance prévoit quant à lui que lorsque les modalités de la mise en concurrence ne peuvent être respectées par l’acheteur, celui-ci peut les aménager en cours de procédure dans le respect du principe d'égalité de traitement des candidats.

On ne peut qu’être interpellé par le caractère assez imprécis de cette disposition. Il est possible de la rapprocher, par exemple, de situations assez classiques comme celles relatives à des procédures longues comportant des phases de négociation (dialogue compétitif, procédure avec négociation). Dans ces hypothèses, il est fort probable que les acheteurs ne pourront pas maintenir les calendriers initialement prévus ; les aménagements nécessaires rentreront alors dans le cadre de l’ordonnance.

Toutefois, l’imprécision des termes laisse une grande marge d’appréciation aux acheteurs, ce qui est vraisemblablement voulu. Il est donc probable que des applications aux dates limites de remise des offres, ou encore aux modifications des documents de la consultation soient envisagées. À cet égard, on ne peut qu’inciter les acheteurs à ne réserver l’application de cet article qu’aux situations directement impactées par l’épidémie, en gardant à l’esprit un impératif : le respect de l’égalité de traitement.

2. Plus de souplesse au stade de l’exécution des prestations

L’ordonnance no 2020-319 comporte un certain nombre de dispositions relatives à l’exécution des marchés. Certaines étaient attendues depuis les déclarations de Bercy regardant l’épidémie comme un cas de force majeure, qui indiquait déjà avant la publication de l’ordonnance que « sans présumer des dispositions qui pourraient être adoptées dans le cadre du projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid -19, ces difficultés peuvent relever du régime de la force majeure, qui exonère les parties au contrat de toute faute contractuelle ».

Ces dispositions ont été adoptées, et l’article 6 de l’ordonnance no 2020-319 prévoit des prolongations de délais d’exécution ou des exonérations de pénalités lorsque le titulaire rencontre des difficultés. Un point commun : le titulaire doit toutefois justifier que la réalisation des prestations en temps et en heure des prestations nécessiterait des moyens dont la mobilisation ferait peser sur son entreprise une charge manifestement excessive. La portée véritable de l’expression « charge manifestement excessive » va inévitablement interroger les acheteurs publics. Il semble prudent de faire preuve d’un certain pragmatisme en attendant d’éventuelles jurisprudences, et de renvoyer la preuve du caractère excessif au titulaire du marché. Les charges manifestement excessives devront être appréciées sur la base d’éléments factuels précis : difficultés d’approvisionnement, retards de livraison ou encore absence de personnel.

Dans les cas extrêmes, l’article 6 de l’ordonnance prévoit la possibilité pour l'acheteur de conclure un marché de substitution avec un tiers pour satisfaire les besoins qui ne peuvent souffrir aucun retard, avec une précision de taille : l'exécution du marché de substitution ne peut être effectuée aux frais et risques de ce titulaire. Cette possibilité permet toutefois d’éviter, dans les hypothèses où le cocontractant est défaillant, les scénarios classiques de mise en régie provisoire particulièrement lourds du point de vue administratif.

L’article 4 de l’ordonnance prévoit, pour les acheteurs, des possibilités de prolongation des contrats qui seront sans aucun doute mises en œuvre pour pallier des retards dans l’organisation des procédures de passation. Ainsi, les contrats arrivés à terme pendant la période d’état d’urgence sanitaire peuvent être prolongés par avenant lorsque l'organisation d'une procédure de mise en concurrence ne peut être mise en œuvre, y compris pour les accords-cadres au-delà de la durée de quatre ans mentionnée aux articles L. 2125-1 et L. 2325-1 du Code de la commande publique. La durée de prolongation de l’avenant qui sera conclu ne pourra dépasser la fin de l’état d’urgence sanitaire, augmentée de la durée nécessaire à la remise en concurrence à l'issue de son expiration.

Les dispositions de l’ordonnance no 2020-319 sont donc, dans l’ensemble, bienvenues pour les acheteurs publics, mais aussi pour les titulaires des contrats de la commande publique. Elles se situent dans la droite ligne des annonces du Gouvernement en début de crise. Certaines notions présentent un caractère imprécis qui sera probablement source de contentieux à l’avenir, mais qui offre également une certaine souplesse dans leur mise en application. On ne peut que rappeler que dans cette période, un dialogue constructif est nécessaire afin d’assurer la bonne exécution des prestations, et ce du point de vue des acheteurs comme des opérateurs économiques.