23 ans plus tard, le retour de la loi Sapin

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8 avril 1992. Pierre Bérégovoy, nommé Premier ministre, présente sa déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale. Au centre de ce discours, le sujet de la corruption occupe une place importante, l’homme politique entendant lutter contre l’un de ces fléaux qui « démoralisent la société française ».

29 janvier 1993. La loi no 93-122 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite loi « Sapin » est promulguée. Elle met en place le service central de prévention de la corruption et a vocation à encadrer tant le financement des campagnes électorales et des partis politiques que celui des prestations de publicité. Elle comprend également un certain nombre de dispositions relatives aux délégations de service public (DSP) et aux marchés publics, telles que celles instituant une procédure de publicité et limitant la durée des DSP.

10 décembre 2016. La loi no 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique paraît au Journal officiel et prend le surnom de loi « Sapin 2 », marquant la continuité d’une démarche entamée quelques vingt-trois ans plus tôt. Continuité signifie-t-elle pour autant évolution ? Revue de quelques dispositions significatives.

Les évolutions apportées au droit de la commande publique

Le Titre III de la loi Sapin 2 contient quelques articles qui précisent ou modifient certaines règles de la commande publique. L’article 38 autorise dans un premier temps l’adoption de la partie législative du code de la commande publique par voie d’ordonnance. Le Gouvernement aura jusqu’au 9 décembre 2018 pour codifier l’ensemble des règles réparties entre l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et celle du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, toutes deux ratifiées par la loi Sapin 2 et prenant ainsi force de loi.

L’article 32 de l’ordonnance marchés publics, consacré à l’allotissement, précise désormais que la présentation d’offres variables par les candidats est interdite. Perçues par certains praticiens comme un « casse-tête » car nécessitant une méthode d’analyse particulière, leur disparition aura été le fait d’un amendement sénatorial déposé pendant l’été estimant que la disposition avantageait « clairement les grandes entreprises dont la structure et le modèle économique (sous-traitance) leur permettent de répondre sur plusieurs lots » et portait ainsi atteinte au principe de l’allotissement.

La décision de l’acheteur de déroger à ce même principe de l’allotissement doit à présent être motivé par des « considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de sa décision ». Ce dernier alinéa de l’article 32 s’inspire de l’actuel article L. 211-5 du Code des relations entre le public et l’administration sur le régime de la motivation des décisions administratives individuelles défavorables.

L’évaluation préalable du mode de réalisation du projet est circonscrite aux seuls marchés de partenariat, et n’est donc plus imposée pour les projets de marchés publics dont le montant est égal ou supérieur à 100 millions d’euros HT. Si cette nouvelle obligation pour les acheteurs ne devait, selon le Gouvernement, ne concerner qu’une centaine de marchés chaque année, elle aurait pu ne devenir qu’une « simple formalité et non une étape essentielle de la réflexion de la personne publique pour choisir la formule juridique la plus adaptée pour la réalisation d’un projet ». L’évaluation n’aurait en effet été soumise à aucun organisme expert, comme Fin Infra peut l’être pour les marchés de partenariat.

Pour prouver qu’il ne fait pas l’objet d’une des interdictions de soumissionner obligatoire et générale figurant à l’article 45, l’acheteur pourra fournir une simple déclaration sur l’honneur. Ce moyen de preuve se substitue à celui exigeant la production d’un extrait de casier judiciaire. Jugé trop complexe, il pouvait conduire les acheteurs à vérifier parfois plus d’une centaine d’extraits de casiers judiciaires d’un seul opérateur économique.

On notera également que l’article 53 prévoit que l’acheteur devra mettre en œuvre « tous moyens pour détecter les offres anormalement basses lui permettant de les écarter ». Ce principe pourrait s’interpréter comme la nécessité pour l’acheteur d’instaurer une méthode de détection adéquate.

S’agissant des marchés de partenariat, l’identification d’une équipe de maîtrise d’œuvre chargée de la conception des ouvrages et du suivi de leur réalisation devient obligatoire lorsque l’acheteur confie tout ou partie de cette conception au titulaire (art. 69). L’évaluation permettant de comparer les différents modes envisageables de réalisation du projet devra également comporter une analyse en coût complet « ainsi que tout élément permettant d’éclairer l’acheteur dans le choix du mode de réalisation du projet » (art. 74).

L’ensemble de ces dispositions seront applicables aux marchés publics pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d’appel à la concurrence est envoyé à la publication après le 10 décembre 2016.

Un renforcement de la lutte contre la corruption

Dès l’entrée en vigueur de son décret d’application qui devrait intervenir début 2017, l’Agence française anticorruption (AFA) remplacera le service central de prévention de la corruption. L’AFA exercera, comme son prédécesseur, des missions de conseil en centralisant et diffusant des informations permettant « d’aider à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme » (art. 3). Elle sera également en charge de contrôler, « de sa propre initiative, la qualité et l’efficacité des procédures mises en œuvre au sein des administrations de l’État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et sociétés d’économie mixte, et des associations et fondations reconnues d’utilité publique » pour la prévention et la détection des mêmes délits.

Son contrôle s’étendra à la vérification de la bonne mise en œuvre des obligations prévues à l’article 17, à savoir les programmes de conformité que doivent notamment mettre en place les sociétés employant au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros. Parmi les mesures et procédures requises de telles sociétés, au nombre de huit, on notera un code de conduite, un dispositif d’alerte interne, une cartographie des risques, ou encore un « dispositif de formation destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés aux risques de corruption et de trafic d’influence ».

La convention judiciaire d’intérêt public, inspirée de la transaction pénale américaine ou deferred prosecution agreement, voit le jour à l’article 41-1-2 du Code pénal. Elle pourra être proposée par le procureur de la République à une personne morale mise en cause pour un ou plusieurs délits s’apparentant à des faits de corruption.

Le lanceur d’alerte acquiert un statut, désigné à l’article 6 de la loi Sapin 2 comme étant « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. » L’alerte devra être portée à la connaissance du supérieur hiérarchique ou de l’employeur ou, en l’absence de réponse de l’un d’entre eux, adressée à l’autorité judiciaire, à l’autorité administrative ou aux ordres professionnels (art. 8).

Nul doute cependant que les termes employés à l’article 6 seront source d’interprétations : une « personne physique » n’est pas une institution représentative du personnel, la preuve du désintéressement et de la bonne foi de l’intéressé devra être fournie, la connaissance des faits sera nécessairement personnelle…

Sources :

Lire également sur Légibase Marchés publics :

  • « Le Conseil constitutionnel valide (partiellement) la loi « Sapin 2 » – La lettre Légibase Marchés publics, no 167
  • « Le contenu du projet de loi « Sapin 2 » définitivement adopté par l’Assemblée nationale » – La lettre Légibase Marchés publics, no 165